Le halal est devenu en quelques années un marqueur qui touche aussi bien la viande que les cosmétiques. Entretien Florence Bergeaud-Blackler , anthropologue, spécialiste du consumérisme religieux.
Sont déclarés interdits le porc et les animaux de la même famille, l’alcool, mais aussi les viandes non abattues selon le rite « islamique » et tout ce qui a été en contact avec des produits considérés comme illicites. A contrario, peuvent être commercialisés aujourd’hui sous un label halal les viandes issues d’un abattage industriel selon le « rite islamique », mais aussi les produits consommables, qu’il s’agisse des aliments, des cosmétiques, des lignes de vêtements, des produits financiers ou des services touristiques.
Vous écrivez que le « marché halal » est une création récente. Qui l’a créé ?
Ce marché n’existait pas dans les pays musulmans avant les années 1980. Il a été institué par les pays non musulmans pour conquérir les marchés musulmans. Ainsi, en France jusqu’aux années 1990, le halal ne concernait que l’abattage rituel. […]
Mais le halal ne peut pas seulement être économique. La volonté de s’y conformer n’est-elle pas liée à une rigueur religieuse accrue ?
Il y a un effet d’entraînement mutuel entre un phénomène capitalistique et le fondamentalisme religieux. Comme l’a montré Olivier Roy, qu’il soit musulman, chrétien ou juif, le fondamentalisme religieux est parfaitement adapté au capitalisme mondialisé. Le salafisme est une idéologie religieuse qui s’affranchit des territoires et des cultures et qui s’impose par la destruction des particularités locales. On peut en dire autant des effets du néolibéralisme, dont le projet semble être la création d’un monde de pure fluidité, sans aucun obstacle. […]
Si les fondamentalistes ont la même conception que les marchands, leurs objectifs diffèrent. Ils visent à terme le contrôle du marché halal, et s’ils font des concessions, c’est pour y entrer. Les marchands, eux, n’ont qu’une vision à court terme, ils veulent vendre, et donc la stabilité avant tout.
Mais faut-il redouter le développement du halal ?
S’il faut redouter quelque chose, c’est la surenchère que favorise cette logique marchande. […] Aujourd’hui, j’observe le développement d’une conception « oummique » du halal : ce qui est licite ne doit pouvoir être produit et contrôlé que par des musulmans. Le produit est placé sous surveillance musulmane permanente jusqu’au consommateur, lui-même invité à adopter une conduite halal.
Le développement du marché halal est-il un symptôme du renfermement de la société musulmane ?
On peut s’interroger. Il est clair qu’aujourd’hui, la pureté, par exemple, est devenue un enjeu important ; pendant des siècles, des juristes ont glosé sur la licéité ou non de l’alcool ou du porc lorsqu’il subit des transformations, mais le débat n’était jamais tranché. Aujourd’hui, ce sont des détecteurs d’ADN, et même des kits portables, qui tranchent, chassant la moindre trace suspecte. Des produits sont jetés en masse s’ils contiennent ces traces. Or, dans une société multiculturelle et multiconfessionnelle, une conception puriste ne peut qu’inciter à la séparation des espaces et des personnes. Dans une société laïque et républicaine, ce modèle ne peut conduire qu’à une situation conflictuelle…
Le Point