C’est une intrusion inespérée dans le monde du renseignement et des guerres secrètes. A l’occasion d’une conférence devant les élèves de l’école d’ingénieurs Centrale-Supélec disponible en quasi-intégralité sur YouTube, mais passée complètement inaperçue, Bernard Barbier, l’ancien directeur technique de la DGSE, le service de renseignement extérieur français, a confirmé que les Etats-Unis étaient derrière le piratage de l’Elysée ainsi que la responsabilité de la France dans une campagne de cyberespionnage.
Le rôle des Américains dans le piratage, découvert entre les deux tours de l’élection présidentielle, en mai 2012, des ordinateurs des collaborateurs du chef de l’Etat français n’avait jamais été prouvé. Une note interne de la NSA, dévoilée par Le Monde à l’automne 2013, relatant la préparation de la visite de deux hauts responsables français, dont M. Barbier, venus demander des comptes, laissait plutôt entendre que les services secrets israéliens pouvaient être derrière l’opération.
« Le responsable de la sécurité informatique de l’Elysée nous a demandé de l’aide. On a vu qu’il y avait un “malware” [logiciel malveillant] », relate M. Barbier. Après analyse, poursuit-il, « j’en suis venu à la conclusion que cela ne pouvait être que les Etats-Unis » :
« J’ai reçu l’ordre du successeur de M. Sarkozy d’aller aux Etats-Unis les engueuler. On était sûrs que c’était eux. A la fin de la réunion, Keith Alexander [directeur de la NSA] n’était pas content. Alors que nous étions dans le bus, il me dit qu’il était déçu car il pensait que jamais on ne les détecterait et il ajoute : “vous êtes quand même bons.” Les grands alliés, on ne les espionnait pas. Le fait que les Américains cassent cette règle, ça a été un choc. »
Babar ou la fin d’un secret d’Etat
En 2013, Le Monde publie une note dévoilée par Edward Snowden révélant que les services secrets canadiens suspectent « avec un degré modéré de certitude » leurs homologues français d’être derrière une vaste opération d’espionnage informatique débuté en 2009. Côté français, silence absolu. Paris admet s’être doté de capacités défensives mais dément toute activité offensive, un tabou. Jusqu’au récit de M. Barbier.
« Les Canadiens ont fait du “reverse” [remonter la trace informatique] sur un “malware” qu’ils avaient détecté. Ils ont retrouvé le programmeur qui avait surnommé son “malware” “Babar” et avait signé “Titi”. Ils en ont conclu qu’il était français. Et, effectivement, c’était un Français. »
Le Monde