Daech a marqué la fin du mois du Ramadan par une vague d’attaques terroristes: Attentats à Istanbul; à Bagdad; à Dhaka, au Bengladesh; et dans de multiples sites à travers toute l’Arabie saoudite; sur la promenade des Anglais, à Nice. Et ces attentats avaient été précédés par une terrible fusillade à Orlando, en Floride, par un homme qui avait répondu à l’appel de Daech de frapper directement le sol des États-Unis.
Brett McGurk, envoyé spécial des États-Unis, a déclaré que ces attentats récents effectués par l’État Islamique étaient un signe de faiblesse, mus par ses pertes croissantes en Irak et en Syrie. «Daech et ses dirigeants se sont réfugiés dans l’ombre», a-t-il déclaré récemment.
C’est pourtant tout l’inverse qui est en train de se passer. Les attaques de Daech démontrent que malgré ses revers récents, l’organisation demeure forte et capable de mettre en pratique sa stratégie globale visant à saper les États modernes, à étendre le califat et à provoquer une guerre apocalyptique avec l’Occident. Les États-Unis ne parviendront pas à vaincre l’État islamique et à protéger le sol américain s’ils ne reconstruisent pas leur stratégie afin de lutter globalement contre l’État islamique plutôt qu’en se concentrant sur des succès tactiques en Irak et en Syrie.
Le groupe mène des campagnes liées les unes aux autres sur de multiples zones géographiques. Sa stratégie locale en Irak et en Syrie vise à conserver le contrôle du terrain en tant que califat, tandis que sa stratégie régionale vise à étendre ce même califat à travers tout le Proche-Orient en absorbant toujours plus de groupes de combattants qui lui permettront de continuer de déstabiliser des États, tout en contrôlant davantage de terrain. Sa stratégie globale vise à créer les conditions d’une guerre apocalyptique avec l’Occident, en polarisant les sociétés afin qu’elles se définissent pour ou contre l’Islam.
Cet objectif final semble un peu trop gros pour être honnête. Les décideurs ont tendance à tenir les discours grandiloquents de Daech sur ses aspirations globales pour de la pure forfanterie et préfèrent se réconforter avec les estimations de ses pertes militaires. Mais en fait l’État islamique est en position de force; il n’est pas seulement implanté en Syrie et en Irak, il risque de prospérer un peu partout dans le monde et à court terme. Au vu de cela, il convient de ne pas écarter d’un revers de main la stratégie globale de l’État islamique. […]
Au vu de la montée en flèche des partis nationalistes et anti-immigrés en Europe, les barrières à cette polarisation sont vacillantes.
Certes, Daech a perdu du terrain en Irak et en Syrie au cours de l’année écoulée. Ces batailles sont des prérequis fondamentaux pour vaincre le groupe. Mais McGurk et d’autres responsables tendent à tirer de fausses conclusions sur la base de leurs victoires tactiques quand ils devraient se concentrer sur le prochain défi. Il est par exemple erroné de s’imaginer que l’État islamique aurait perdu sa capacité militaire car il n’est pas parvenu à reprendre les villes qu’il a perdu. Dans la plupart des cas, Daech a préféré se replier plutôt que combattre jusqu’à la mort –un signe de contrôle, de calcul militaire et de son intention de conserver son potentiel militaire pour des opérations futures.
De la même manière, l’administration d’Obama ne parvient pas à interpréter convenablement les attentats spectaculaires commis par Daech, qu’elle perçoit comme un signe de faiblesse et la preuve que le groupe s’en remet à des moyens moins impressionnants. Pourtant, les très nombreuses attaques à l’explosif lancées par Daech durant et après le ramadan ressemblent à s’y méprendre à celles lancées lors des années précédentes durant la même période. Elles sont juste plus importantes et plus meurtrières.
Daech a toujours été une force hybride et ces attaques massives et meurtrières l’emblème de sa campagne du Ramadan. Il s’est adapté en incorporant les grandes manœuvres conventionnelles à sa panoplie à partir de 2014, en s’emparant de nombreux territoires en Irak et en Syrie après la chute de Mossoul. La capacité de manœuvre de Daech continue d’exister puisqu’il peut effectuer des replis tactiques et défendre des portions de son territoire comme la ville de Manbij, en Syrie, qui n’est tombée que le 12 août dernier après des mois de combat.
L’idée que Daech va perdre parce qu’il ne peut faire face à des attaques frontales de la coalition menée par les États-Unis procure un faux sentiment de sécurité. La manière dont l’État islamique mène la guerre en Irak et en Syrie et logique, prévisible et vise à permettre une nouvelle expansion dès que les Américains auront quitté la région. Le groupe est déjà en train de déstabiliser les États affaiblis des environs: l’attentat très meurtrier de Bagdad démontre qu’il est à même d’obtenir des effets politiques par le biais d’attaques isolées quand ces dernières sont soigneusement préparées.
Les décideurs ne parviennent pas davantage à réaliser que les opérations régionales et globales de Daech visent à atteindre des objectifs qui vont au-delà de la défense de ses bastions en Irak et en Syrie. Les attaques récentes menées au Bengladesh, en Arabie Saoudite, en Turquie, au Liban, en Égypte ou en Jordanie n’étaient pas des réactions à des pertes de territoire, pas plus que de récentes expansions de son rayon d’action. Daech s’est déjà implantée dans ces pays et ces attaques font partie d’une stratégie préexistante visant à étendre le califat afin qu’il comprenne l’intégralité du monde musulman. Si Daech peut affaiblir ces États, voire les obliger à se concentrer sur leurs propres problèmes de sécurité plutôt que de mener la guerre à Daech, alors la coalition qui menace son territoire pourrait bien tomber en morceaux.
L’État islamique tente de détruite les États modernes en espérant un effet domino. Et certains de ces États, comme la Jordanie, sont en grande difficulté. La Jordanie et le Liban sont toujours menacés de s’effondrer sous le poids des attaques terroristes, du flux de réfugiés et des querelles politiques. L’État islamique a attaqué ces deux États depuis la frontière syrienne durant la période du Ramadan.
L’heure n’est pas aux fanfaronnades. Les États-Unis feraient bien de veiller à contenir l’expansion régionale de l’État islamique en s’imaginant que certains groupes locaux de djihadistes salafistes ne menacent pas la sécurité des États-Unis. McGurk a décrit certains des groupes affiliés à Daech comme «des organisations terroristes préexistantes… qui ont choisi de brandir le drapeau noir de Daech» suggérant que ces groupes ne seraient pas des composantes critiques de la lutte contre l’État islamique. C’est pourtant bien par le biais de ces groupes que Daech cherche à étendre son influence.
Contrairement au récit de l’administration Obama, qui présente Daech comme une organisation affaiblie, le groupe semble gagner de manière claire sa campagne contre les États-Unis dans la région. Ses activités dans le monde entier, et notamment ses attentats en Occident, ne sont pas des tentatives de détourner l’attention de la campagne régionale. Elles font toutes deux partie d’une stratégie visant à donner naissance à une guerre entre musulmans et non-musulmans. Elle pourrait bien marcher, car l’État islamique n’est pas hélas le seul acteur international favorable à une plus grande polarisation de la société.
L’État islamique sait que de nombreuses attaques en Occident vont pousser les sociétés à se retourner contre les populations immigrantes, et tout particulièrement dans le contexte de la crise des migrants. Au vu de la montée en flèche des partis nationalistes et anti-immigrés en Europe, les barrières à cette polarisation sont vacillantes. Des coalitions militaires comme l’Otan pourraient bien voler en éclats. Les États-Unis ont l’armée la plus puissante du monde, mais le nouvel ordre mondial est en train de basculer sous nos yeux et il est plus favorables à l’État islamique et à d’autres menaces plus à même d’exploiter le désordre et l’incertitude. […]