L’«obsession identitaire» n’est pas un phénomène spontané. C’est le fruit d’une bataille culturelle et idéologique lancée par des intellectuels symboles de notre temps. Ces derniers ont une responsabilité historique dans la diffusion d’idées, de représentations et d’expressions («Français de souche», «racines chrétiennes de la France», «racisme anti-blanc») constitutives d’une vision étriquée d’une identité française monolithique, supérieure, immuable… pourtant source de confusion, de tension et de désunion nationale.
Jacques Sapir, a enregistré un vidéo qui devait être diffusé au cours des Estivals le rassemblement du Front national qui se tenait à Fréjus les 17 et 18 septembre. Photographié en 2008 il assistait à une manifestation du Mouvement Républicain et Citoyen, fondé par Jean-Pierre Chevènement. Photo Lionel Bonaventure / AFP
Incarnation de la vague réactionnaire qui traverse le monde occidental, les «intellectuels identitaires» forment une sorte d’agrégat entre d’anciens gauchistes des années 60 et 70, qui se sont ralliés – avec la foi des nouveaux convertis – à la révolution conservatrice et des figures issues à la fois de la gauche souverainiste et d’une droite de tradition maurrassienne. Malgré une généalogie diverse, il est possible ici de les classer à partir de la typologie des «néoréactionaires» proposée par Gisèle Sapiro [1], basée sur la distinction entre les «notables» (soucieux, à l’instar de Alain Finkielkraut, de la respectabilité mondaine), les «esthètes» (qui se départissent de la bienséance bourgeoise, un dandisme dont un Michel Houellebecq se réclame), et les «polémistes» (nombreux éditorialistes-pamphlétaires incarnés jusqu’à la caricature par Eric Zemmour). Venus d’horizons divers, ils n’en participent pas moins à un même mouvement de droitisation de l’intelligentsia française aspirée par une même névrose crépusculaire. D’aucuns franchissent le rubicon et font tomber le masque en s’affichant ou en intervenant dans les meetings du Front national, tels Jean-Paul Brighelli (enseignant), Jacques Sapir (économiste) ou encore Xavier Raufer (géographe).
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Béligh Nabli, La République identitaire, préface de Michel Wieviorka, Paris, éd. du Cerf, 2016.
Libération