Après avoir décrypté les principaux manuels scolaires d’histoire, Barbara Lefebvre a accordé au FigaroVox un entretien fleuve. Elle montre comment l’Education nationale porte un regard apologétique sur la civilisation arabo-musulmane. Quelques extraits de son entretien.
Barbara Lefebvre, professeur d’histoire-géographie, elle a publié notamment Élèves sous influence (éd. Audibert, 2005) et Comprendre les génocides du 20è siècle. Comparer – Enseigner (éd. Bréal, 2007). Elle est co-auteur de Les Territoires perdus de la République (éd. Mille et une nuits, 2002).
À quoi sert l’histoire enseignée à l’école, à développer le «vivre-ensemble» ou à instruire les élèves ?
L’histoire scolaire telle qu’elle est prescrite par les programmes officiels transposés fidèlement dans les manuels scolaires, n’est pas l’histoire universitaire. Ce n’est pas une histoire où les débats historiographiques actuels, parfois virulents, doivent s’exposer. C’est le récit du passé au regard de l’état des lieux de la recherche faisant l’objet d’un consensus académique. L’histoire scolaire sert un projet d’influence positive: transmettre aux élèves des connaissances factuelles appuyées sur une pratique du questionnement critique des sources. On espère, naïvement peut-être, qu’ils pourront, plus tard, exercer leur raison critique et penser par eux-mêmes. Or, cette discipline est le plus souvent utilisée pour exercer une influence normative sur les élèves. Aujourd’hui cela s’aggrave dans le contexte de crise identitaire sévère et de déculturation massive.
Il est intéressant de se pencher sur les nouveaux programmes d’histoire voulus par l’actuel gouvernement, dont la majorité des thèmes sont pourtant recyclés des anciens programmes.
Beaucoup de bruit pour rien? Pas vraiment, car la France a atteint un point de tension identitaire proche de la rupture.
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L’histoire scolaire de la civilisation musulmane, sans aspérité, confine parfois à l’apologétique, tout cela au service de la glorification dogmatique du « vivre ensemble ».
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Il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont le contact belliqueux entre Chrétienté et Islam est décrit autour de l’épisode des croisades. On retiendra notamment dans un manuel [Hatier] que dans la leçon titrée «La violence des guerres saintes», les auteurs ne rendent compte que de la Reconquista espagnole et des croisades, à travers par exemple les crimes des Croisés comme le sac de Constantinople en 1204. Le jihad n’est pas du tout évoqué dans cette leçon inscrite pourtant dans le chapitre sur l’islam !
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En outre, les objectifs de la conquête ne sont jamais exposés aux élèves, or la conquête territoriale est consubstantielle à la naissance de l’islam et les propos de Mohamed dans le Coran et la Sunna sont sans ambiguïté: l’islam est prosélyte, a vocation à éclairer l’humanité, la conquête territoriale en est le principal instrument. Cette fusion du politique et du religieux doit être soulignée si l’on veut éclairer certains discours fondamentalistes actuels pour les déconstruire. Ici la notion de jihad devrait être abordée, elle sert dès le début de l’islam à une justification religieuse de la conquête de type impérialiste – tout à fait banale à l’époque – constituée de pillages, de massacres et de colonisation. […]
La traite arabe a également une spécificité rarement rappelée : la castration de 7 captifs sur 10 destinés à être eunuques mais dont la majorité mourrait des suites de l’opération. Cette vaste entreprise de castration explique en partie le peu de trace que les esclaves africains ont laissé dans la démographie des sociétés musulmanes orientales, alors que les millions d’esclaves de la traite atlantique ont eu une grande descendance peuplant aujourd’hui le continent américain. On pourrait espérer que ce sujet soit traité plus tard dans la scolarité mais il n’en est rien car l’esclavage subi par l’Afrique subsaharienne pendant des siècles se résume à la traite atlantique. Ici encore, on le voit, l’histoire scolaire poursuit un objectif qui s’éloigne de sa prétention affichée à éclairer la conscience des élèves pour en faire un citoyen éclairé et de développer chez lui l’esprit critique qui passe par l’analyse des sources historiques et non l’apprentissage d’une doxa.
Merci à Stormisbrewing, BillDeBaskerville et la fraternité des garçons ivres