Depuis trois ans, Denis Mukwege ne sort de chez lui qu’escorté par la police. Chez lui, c’est l’hôpital de Panzi, près de Bukavu, la capitale du Sud-Kivu dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). «Je vis là où je travaille, explique le gynécologue de 60 ans. J’essaye de réduire les risques au maximum.» La Mission de l’ONU pour la stabilisation de la RDC (Monusco) le protège depuis qu’il a été victime d’une sixième tentative d’assassinat, en octobre 2012, alors qu’il rentrait à la maison.
[…] Qui peut bien en vouloir au Dr Mukwege, sinon les violeurs? Depuis une quinzaine d’années, le gynécologue a soigné des dizaines de milliers de femmes abusées, violentées, découpées, charcutées pour certaine d’entre elles, leur sexe étant exhibé comme un trophée par leurs agresseurs. On parle de plus de 500 000 victimes. Jamais peut-être, le viol n’avait été utilisé comme arme de guerre de façon aussi systématique.Les violeurs, on les trouve dans tous les camps: les rebelles hutus dans un premier temps , puis les combattants locaux maï-maï, les soldats rwandais, mais aussi les forces gouvernementales, les infiltrés des pays voisins, et dernièrement les insurgés du M23. Tous s’y sont mis dans une orgie destinée à entretenir la terreur et faire fuir les populations. «Il n’y a rien de culturel à cela, souligne Denis Mukwege. Cette barbarie est corrélée à la guerre, à l’absence d’État de droit, au déni de justice. On n’avait jamais vu cela auparavant.»
Officiellement, la guerre en RDC est terminée depuis des années. Les zones de combat ont sensiblement diminué, et le nombre des viols avec. Aujourd’hui, le docteur recoud en moyenne 2500 femmes par an, alors qu’en 2004 c’était 4000. Mais les métastases sont là, le mal se propage dans la société. «J’observe de plus en plus de viols sur des enfants, des bébés, parfois de moins de douze mois, cela se généralise. Il n’y a toujours pas de répit pour la population.»
Plutôt que d’être achevés, ces bébés broyés sont déposés devant la maison des parents. «Cela procède de la même logique qu’avec les femmes. Il y a une volonté d’humiliation, de destruction du tissu social, de toute valeur, de tout ce qui est sacré.» Un «cercle vicieux infernal» est à l’œuvre: les enfants issus de viols, eux-mêmes rejetés, deviennent parfois à leur tour des violeurs. Et puis, il y a ces histoires d’enfants forcés de découper le sein de leur mère. «On leur a enseigné à perpétrer des atrocités sur leur propre famille avant de les recruter comme combattants», explique le docteur
[…]Il est difficile de démêler les logiques à l’œuvre qui continuent de déchirer la RDC, en particulier l’est du pays où plus de deux millions de personnes ont été déplacées. Mais, Denis Mukwege avance une hypothèse: «Il y a une corrélation entre les zones minières, les groupes armés et les femmes violées». En d’autres termes, le viol comme outil de terreur destiné à faire fuir les populations profite aux combattants qui veulent contrôler les territoires riches en minerais, ce qui ne manque pas dans la région […]