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En tentant de saisir les phénomènes sociaux, la sociologie nourrit-elle une « culture de l’excuse » comme l’avait affirmé Manuel Valls ? Sur certains sujets “sensibles” (l’islam, la délinquance, l’immigration…) , des sociologues se voient reprocher leur manque d’impartialité.

A intervalles réguliers, cette discipline se voit accusée de prendre fait et cause pour les terroristes, les délinquants ou les pauvres. « Il est dramatique que des responsables politiques fassent semblant de ne pas distinguer les deux significations du mot comprendre, réplique Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, responsable de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux à l’université d’Aix-Marseille. Au sens affectif, ce verbe veut dire avoir de l’empathie, mais, au sens intellectuel, il revient à expliquer pourquoi deux plus deux font quatre. » […]

La règle numéro un du métier de sociologue, c’est d’enquêter. Collecte de données chiffrées, observations in situ, entretiens auprès des populations constituent le b.a.-ba d’une profession dont la palette d’outils n’a cessé de s’affiner depuis la montée en puissance de la statistique, utilisée à la fin du XIXe siècle par le fondateur de la sociologie, Emile Durkheim, pour analyser le suicide. […]

Une fois que les enquêtes ont livré leurs données, le chercheur tire des leçons de ses travaux – et cette partie peut avoir des accents plus politiques que le diagnostic. […]

Le problème, c’est que certains sociologues vont directement du rez-de-chaussée au dernier étage. Et qu’ils donnent parfois leur avis sans avoir enquêté. Le chercheur se fait alors éditorialiste en s’exprimant sur une scène médiatique qui comporte des pièges. « Sur la radicalisation, la porte est ouverte à tous ceux qui veulent s’exprimer, qu’ils connaissent ou non le sujet», déplore ainsi la sociologue Mirna Safi.

Cette spécialiste des questions de discrimination, d’intégration et de ségrégation a été contactée à plusieurs reprises par des médias pour évoquer la radicalisation : elle décline toutes les invitations car elle estime ne pas être suffisamment documentée sur ce sujet. « J’ai, bien sûr, des choses à dire autour d’un café, mais pas en tant que sociologue. » Le distinguo relève pour elle d’une discipline personnelle.

C’est précisément ce distinguo qui pose souvent problème. Si les méthodes scientifiques d’enquête font l’objet d’un relatif consensus, la participation des sociologues au débat ­public suscite des controverses récurrentes. La polémique autour du burkini a ainsi ­opposé le sociologue Michel Wieviorka à sa consœur Nathalie Heinich, une spécialiste de l’art contemporain qui lui reprochait de ­« minimiser le problème » de l’islam radical.

Réponse cinglante de Michel Wieviorka : « Le sociologue qui s’exprime sur le “burkini” (…) ­devrait s’appuyer sur des recherches portant ­directement sur ce phénomène ou sur des phénomènes proches – la burqa, par exemple. » Voilà en tout cas un terrain glissant. « L’islam est un sujet qui déchaîne les postures morales et les émotions, lesquelles viennent en permanence mettre en péril la froideur intellectuelle nécessaire au travail scientifique, affirme Laurent Mucchielli. C’est une question hystérisée, plus encore que la sécurité. Et du coup très risquée, y compris pour les sociologues. »

Le Monde

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