Chronique de Michaël Foessel, professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique , dans Libération. Il est le successeur d’Alain Finkielkraut à la chaire de philosophie de cet établissement.
La France a un problème de racines. Depuis quelques décennies, elle doute de son avenir au point d’adresser des questions identitaires à son passé. C’est peut-être inévitable : lorsque l’on ne sait pas où l’on va, on se demande d’où l’on vient dans l’espoir que cette provenance permettra de tracer un chemin pour le futur. Les racines (les «racines chrétiennes de l’Europe») désignent un fondement sans lequel tout s’effondre, mais aussi une origine qui continue à prescrire sa loi. En les invoquant, l’homme public ou l’intellectuel fait d’une pierre deux coups : il désigne l’origine du mal (l’oubli de ce qui nous fait tenir ensemble) et il prescrit un remède (la régénération par le retour aux sources).
Ce problème de racines s’est compliqué récemment avec l’entrée en scène de deux personnages : le Gaulois et le radicalisé. Le premier est un vieil habitué des contempteurs du déracinement. Il s’était un peu éclipsé sous le coup des plaisanteries à propos des Français d’outre-mer que l’on obligeait, contre toute évidence, à réciter «Nos ancêtres les Gaulois». Peut-être certains nationalistes s’étaient-ils aussi rendu compte du paradoxe qui consiste à planter les racines de la France éternelle dans un peuple vaincu par l’histoire. Il reste que la figure radiculaire du Gaulois a fait son come-back. Pour l’y aider, on peut toujours compter sur les pouvoirs enchanteurs du «roman national». Passé un certain degré de fiction, tous les jugements contre-intuitifs deviennent crédibles. Pourquoi faire de l’histoire de manière scientifique quand le beau récit de l’assimilation permet de confondre dans un même creuset des vessies et des lanternes ?
Ce problème de racines s’est compliqué récemment avec l’entrée en scène de deux personnages : le Gaulois et le radicalisé. […] C’est ici que la comparaison avec le Gaulois devient intéressante. En apparence, ce personnage désigne une proximité heureuse et pacifique avec ses racines, à mille lieux de la violence du radicalisé. Mais la logique de la métaphore s’impose pourtant dans les deux cas : aller à la racine des choses implique de se débarrasser de la mauvaise herbe. […]
On pourra creuser autant qu’on voudra dans l’histoire, on ne trouvera jamais de souches qui délivrent le sens définitif d’une culture. A la racine, il n’y a «rien», c’est-à-dire le pouvoir d’un homme d’être l’origine imprévisible de ses actions. Le Gaulois et le radicalisé ne choisissent peut-être pas leurs racines culturelles, mais ils choisissent de les choisir. Comme n’importe qui d’autre, le sol de leur existence est porté par leur liberté.