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Pour Alain Bertho, directeur de la Maison des sciences de l’homme et professeur à l’Université de Paris 8, “l’islam plus rigoureux des jeunes” est une réponse à la mémoire familiale de la maltraitance sociale.

Les mois passent, les drames se succèdent et l’évidence s’impose : le califat revendiqué par Daech [acronyme arabe pour organisation Etat islamique] n’est pas seulement une officine de guerre et de terreur mais une machine à héroïser des accès de rage désespérée et meurtrière. […]

Depuis l’effondrement du communisme et de l’hypothèse révolutionnaire, l’humanité qui affronte ce chaos est aussi orpheline d’un contre-récit mobilisateur et d’un rêve d’avenir. Pour ceux qui ne rêvaient pas de révolution, la disparition progressive des marges de manœuvre des Etats a délégitimé les pouvoirs, dissous la démocratie et mis en rage des peuples épris de souveraineté. […]

Le cri des « marges » est aujourd’hui majoritairement un cri religieux. En France, ce qu’on nomme « islamisation de la radicalité » est de cet ordre. Deux générations après l’arrivée de leurs grands-pères dans les usines, les descendants de la main-d’œuvre coloniale, encore et toujours stigmatisés, se cherchent une voix commune, des repères éthiques face à l’injustice.

La reconfessionnalisation essentiellement musulmane de ces jeunes est un effet de la désagrégation du mouvement ouvrier et de l’isolement dont ils ont été victimes durant les émeutes de 2005. Leur islam plus rigoureux que celui de leurs parents est une réponse à la mémoire familiale du mépris et de la maltraitance sociale. Cet islam fait office de contre-récit généraliste en lieu et place de la politique perdue. C’est pourquoi il suscite des conversions dans d’autres milieux et d’autres histoires familiales.

Mais cette confessionnalisation n’est pas à la racine de la violence. Celle-ci naît de la perte d’espérance.

Ce djihad est un djihad de fin des temps en prise avec les inquiétudes que nous pouvons avoir sur l’avenir de la planète et de l’humanité. Cette alchimie terrible ne vient pas d’une terre lointaine ni d’une théologie atemporelle. Elle opère dans des situations sociales et nationales contemporaines, en France comme ailleurs. En France, aujourd’hui, plus qu’ailleurs. C’est pourquoi il est sans doute plus urgent de faire face à ce désespoir que de légiférer sur les habits des femmes ou d’instiller la guerre dans l’esprit public.

Le Monde

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