L’immigration faisant partie de l’identité suédoise, les problèmes d’intégration y ont été niés jusqu’à la caricature. L’extrême droite, elle, monte en puissance. (Libé)
Selon le communiqué de presse de la police, l’édition d’août 2015 du festival de la jeunesse We Are Sthlm s’est déroulée dans le calme. Les mémos, rédigés par les gardiens de la paix sur place, relatent une tout autre histoire : 36 plaintes pour agression sexuelle ; plus de 200 hommes bannis du périmètre, en majorité (toujours selon les mémos) des jeunes demandeurs d’asile afghans, arrivés en Suède comme mineurs non accompagnés. Pourquoi ce silence ? «C’est un point sensible, a reconnu un des chefs de la police, Peter Agren, au quotidien Dagens Nyheter. Nous n’osons parfois pas dire ce qu’il en est, par peur de faire le jeu des Démocrates de Suède», formation d’extrême droite. Quelques jours plus tard, le journal révélait que toutes les plaintes impliquant un demandeur d’asile étaient désormais tenues secrètes. La mesure d’exception, adoptée en octobre, tranche avec le principe de transparence, habituellement de mise en Suède.
Il y a certains sujets, en Suède, qu’il vaut mieux éviter, estime l’économiste Joakim Ruist, spécialiste des migrations, qui voit une contre-réaction à une tendance observée dans les années 90 : «Dès qu’un immigré commettait un crime, son origine était mentionnée en une des journaux, créant une atmosphère de suspicion. Aujourd’hui, c’est le contraire, au point d’en être ridicule : c’est controversé de dire que l’emploi des réfugiés est de 20 % inférieur à celui des Suédois, ou qu’il y a des problèmes culturels dans les banlieues. Le pire, c’est la façon dont on médiatise les bonnes nouvelles : une enquête qui montre les bénéfices de l’immigration est rapportée telle quelle dans les médias, tandis que la méthodologie d’une autre, qui pointe des problèmes, est discutée à n’en plus finir.»
Le politologue Andreas Johansson Heinö souligne l’importance de la question de l’immigration dans l’identité suédoise : «L’image que nous avons de nous-mêmes est construite sur l’idée d’un peuple tolérant et ouvert, qui embrasse le multiculturalisme. On en a fait une vérité indiscutable.» La montée de SD a brouillé les cartes : «On s’est retrouvé avec un débat très simpliste, où ce n’était plus nécessaire de défendre rationnellement ses d’arguments. Il suffisait de dire que ceux qui étaient en face étaient les méchants.» Les autres partis n’ont plus eu qu’une obsession : se distancer de l’extrême droite. Le journaliste social-démocrate Göran Greider reconnaît un certain «aveuglement», qui a conduit «à ne plus lutter contre le racisme que par l’antiracisme». L’eurodéputé libéral Jasenko Selimovic : «Si les Démocrates de Suède disaient que la Terre est ronde, les autres clameraient qu’elle est plate.»
Pourtant, remarque Torkild Stranberg, le maire libéral de Landskrona (sud), où l’extrême droite a obtenu un score record en 2002, il ne s’agissait pas de reprendre la rhétorique de SD, mais de reconnaître qu’il y avait des problèmes d’intégration dans certains quartiers : «Le nier, c’est vivre dans un monde imaginaire. Pendant ce temps-là, on ne fait rien et on est ensuite forcé de prendre des mesures drastiques, dans la panique.»
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