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Dans une lettre d’une soixantaine de pages, les évêques de France appellent à retrouver du sens dans la politique.

5. Différence culturelle et intégration

Parmi les difficultés d’établir un nouveau contrat social, il y a celle que pose aujourd’hui la
différence culturelle. En effet, si la mondialisation a créé une nouvel espace économique et
un nouveau rapport au temps et à l’espace, elle a également fait apparaître une réalité
complexe où l’interpénétration croissante des sociétés a permis à la fois des croisements
intéressants et enrichissants, mais a contribué aussi à une insécurité culturelle et des malaises
identitaires, pouvant aller jusqu’au rejet de l’autre différent.
La France a eu longtemps une conception assez précise de ce qu’est l’identité nationale
qui supposait de façonner un citoyen français dans le creuset républicain où il s’appropriait
l’idée d’un pays avec des références historiques et culturelles partagées. Cette idée d’une
Nation homogène, construction politique constituée souvent à marche forcée, en centralisant
et unifiant de manière autoritaire et en gommant souvent les références, s’est trouvée
bousculée par la mondialisation. Elle impliquait que les particularités communautaires et
surtout religieuses ne soient pas mises en avant. Mais aujourd’hui, non seulement ce creuset
qui a plutôt bien fonctionné pendant des siècles, n’intègre plus ou pas assez vite, mais l’idée
même d’un « récit national » unifiant est largement contesté et remis en cause. Les identités
et différences sont affichées, et la revendication communautaire met à mal l’idée d’une
Nation homogène. Il devient dès lors plus difficile de définir clairement ce que c’est d’être
citoyen français, un citoyen qui s’approprie et partage une histoire, des valeurs, un projet.
Certains restent ainsi en dehors du modèle français, étrangers à une communauté de destin.
D’autres vivent mal ce sentiment de perte d’identité. C’est le terreau de postures racistes
réciproques.
Le monde arabo-musulman est devenu de plus en plus une source de dangers pour
beaucoup de nos concitoyens : terrorisme, prosélytisme, tensions internationales, mais aussi
statut des femmes, situation des chrétiens d’Orient, etc.…. Et le risque est de n’appréhender
les questions légitimes de sécurité qu’à travers un prisme culturel. Incivisme, violence,
communautarisme, embrigadement, etc… tous ces éléments se confondent dans le visage de
l’étranger.
Il convient donc pour l’avenir de notre société de redéfinir ce que c’est d’être citoyen
français, et de promouvoir une manière d’être ensemble qui fasse sens. En d’autres termes,
comment gérer la diversité dans notre société ? Comment l’identité nationale peut-elle
perdurer avec des revendications d’appartenances plurielles et des identités particulières ?
Pour un tel enjeu qui nécessite un large débat où toutes les composantes de la société doivent
pouvoir apporter leur contribution, le christianisme peut partager son expérience doublement
millénaire et sans cesse renouvelée d’accueil et d’intégration de populations et de cultures
différentes dans la naissance d’une identité qui ne nie pas les autres appartenances.

6. L’éducation face à des identités fragiles et revendiquées

L’interpénétration croissante des sociétés est devenue une caractéristique majeure de la
mondialisation que connaît notre époque. Cette nouvelle réalité fait apparaître comme en
écho le besoin profond des êtres humains et sociétés de reconstruire leur différence chaque
fois que leur identité est secouée, malmenée. Cette question de l’identité travaille notre
société française. Et beaucoup de nos concitoyens, confusément ou non, s’interrogent : qui
suis-je vraiment ? A quoi est-ce que je crois ? Quelles sont les valeurs qui m’ont façonné et qui
comptent pour moi ? D’où viennent-elles ? Quelles sont mes appartenances, mes fidélités ?
Plus largement, au niveau de tout un peuple, ce sont les mêmes interrogations : quelle est
notre véritable identité ? De quoi se nourrit une identité nationale ? Mais aussi quel sens y-at-il
à vivre ensemble, quelle reconnaissance, quelle utilité sociale ? Ce sont des questions
importantes parce que nous savons que l’identité donne des racines, inscrit dans une histoire,
et en même temps permet d’accéder à un groupe. Il est très important que notre société
s’empare de ces questions, à la fois pour percevoir ce qui a construit et forgé notre pays, mais
aussi pour prendre la mesure de la richesse que des identités plurielles peuvent lui apporter
en faisant émerger les liens d’unité au cœur même de cette diversité. Il ne faudrait pas que
les recherches et affirmations d’identités débouchent sur des enfermements identitaires. Plus
que d’armure, c’est de charpente que nos contemporains ont besoin pour vivre dans le
monde d’aujourd’hui.
A cet égard, le parcours de ces jeunes de nationalité française, le plus souvent d’origine arabe
mais pas tous, qui sont partis combattre en Syrie ou en Irak pour Daech ne peut que nous
interpeller. On peut apporter différents éléments d’explication. Mais il semble assez clair qu’il
s’agit de jeunes déstructurés qui n’ont pas trouvé leur place dans la société, et qui pour
certains avaient déjà basculé dans de la petite délinquance. Ils vont trouver dans un discours
clé en main et un engagement radical, l’opportunité de donner immédiatement un sens à leur
existence, de la faire sortir de la médiocrité, et de contester la société dans laquelle ils n’ont
pas su s’insérer. Sans minimiser en aucune façon leur responsabilité ni celle des
commanditaires qui ont manipulé leur destin, il convient de se demander pourquoi
l’intégration n’a pu s’opérer, et comment notre société a laissé une partie de sa jeunesse se
perdre dans de telles aventures mortifères et meurtrières.
Pour cela, il ne suffit pas de regarder notre société et de reconnaître qu’elle est devenue
plurielle : il est nécessaire de s’interroger sur la crise que traverse depuis plusieurs décennies
notre système éducatif. La famille, en tant que premier lieu d’éducation, a vocation à ne pas
enfermer l’enfant et à lui donner les premiers éléments de son entrée dans une communauté
humaine toujours plus vaste que son milieu d’origine. Cette œuvre éducative n’est pas
achevée par la famille : elle se poursuit jusqu’à l’âge adulte grâce à l’école, lieu par excellence
de socialisation et d’exorcisation de la violence. Mais la tâche éducative va plus loin : au-delà
de la nécessaire transmission des savoirs et de la non moins nécessaire acquisition des
compétences, elle se doit d’ouvrir les jeunes à l’universel par la culture, seule en mesure de
rendre possible le dialogue entre les cultures.
Dans notre société, profondément redevable à l’égard de son histoire chrétienne pour des
éléments fondamentaux de son héritage, la foi chrétienne coexiste avec une grande diversité
de religions et d’attitudes spirituelles. Le danger serait d’oublier ce qui nous a construits, ou à
l’inverse de rêver du retour à un âge d’or imaginaire ou d’aspirer à une Eglise de purs et à une
contre-culture située en dehors du monde, en position de surplomb et de juge. La révélation
chrétienne ne conduit pas à une telle contre-culture, car depuis les origines elle fait alliance
avec la raison et reconnaît des « semences du Verbe » dans la culture, définie par Jean-Paul II
comme ce par quoi « l’homme devient plus homme » (UNESCO, 2 juin 1980).


Le texte dans son intégralité

Evêques de France : "Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique" by La Vie on Scribd

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