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Entretien croisé entre Felwine Sarr et Achille Mbembe à l’occasion des premiers Ateliers de la pensée qui réuniront à Dakar, fin octobre, intellectuels et artistes. (…) Tous deux sont convaincus que ce qui se joue aujourd’hui, c’est la « planétarisation de la question africaine ». Le continent peut être le moteur de notre monde, mais pour ce faire il doit parachever sa décolonisation, réactualiser les valeurs qui sont les siennes et proposer un projet de civilisation ancré dans « ses potentialités heureuses ». (…)

Ce que la présence d’Alain Mabanckou au Collège de France a révélé au grand jour, c’est une sorte d’apartheid interne qui structure la géopolitique du français, qui repose sur une distinction absurde entre ce qui est « français » et ce qui est « francophone ». Or la langue dans laquelle nous, citoyens d’autres pays et citoyens français, écrivons est exactement la même, avec certes, des accents particuliers. N’étant plus des « étrangers » au sein de la langue française, il n’y a strictement aucune raison de se voir affubler le qualificatif de « francophone ». (…)

Ce qu’il faut comprendre, c’est que le nouveau siècle s’ouvre sur deux déplacements historiques majeurs. L’Europe ne constitue plus le centre du monde, même si elle en est toujours un acteur relativement décisif. Et l’Afrique – ou le Sud de manière générale – apparaît de plus en plus comme le théâtre privilégié où risque de se jouer, dans un avenir proche, le devenir de la planète. […]

Être africain, c’est lier en toute conscience son sort à celui de l’Afrique et aller à la rencontre du monde. Cela n’a rien à voir avec la couleur de la peau, la religion, l’ethnicité. Il faut penser en termes d’Afrique-monde, afin de faire leur part aux Afro-Indiens, aux Afro-Européens, aux Afro-Chinois, aux Afro-Arabes, etc. C’est ça l’afropolitanisme. Il n’y aura jamais de définition arrêtée de ce que c’est que d’être Africain. […]

On a une démographie galopante. Sauf catastrophe majeure, dans trente-cinq ans, nous serons 2,4 milliards d’Africains, un quart de l’humanité. L’urbanisation est croissante mais anarchique. Les populations se déplacent, créent des espaces parfois peu habitables ; ce qui engendre des problèmes d’ordre humanitaire. Quel avenir proposera-t-on à la nouvelle génération ? Que voulons-nous lui transmettre ? Quel type de citoyenneté allons-nous construire avec elle ? Si nous ne relevons pas ce défi, nous aurons des hordes pour Boko Haram et d’autres mouvements nihilistes.

Le Monde

Merci à la fraternité des garçons ivres

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