« Le Monde » a demandé à trois imams de parler de leur quotidien en France.
Les imams sont aujourd’hui au cœur des exigences formulées par les responsables politiques envers l’islam. En plaquant parfois sur eux le modèle du curé, on les voudrait francophones (l’écrasante majorité des fidèles ne comprend pas l’arabe), imprégnés du contexte français, formés en France, sans toujours mesurer les contraintes actuelles de la condition d’imam. […]
« C’est la première fois que des musulmans vivent en tant que minorité, déclare Abdallah Dliouah. Il faut tout réinventer pour être en adéquation avec le monde d’aujourd’hui. »
Abdallah Dliouah à Valence, Ismaïl Mounir à Longjumeau (Essonne), Abdelkader Ounissi à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) ne constituent pas un échantillon représentatif des profils si variés des imams aujourd’hui, en fonction dans les quelque 2 500 lieux de culte musulmans en France. Ils n’ont pas la même formation religieuse ni la même trajectoire. Mais tous trois sont francophones, en phase avec le contexte français, et rêvent d’une insertion sans heurts de l’islam. Chacun à sa façon, par ce que le sociologue Romain Sèze appelle leur « créativité » de tous les jours, ils sont les artisans d’une « réinvention du magistère islamique » et d’« un islam de France en train de se faire » (Etre imam en France, Cerf, 2013), loin des théories et au plus près du terrain.
Ismaïl Mounir, 42 ans, est né en France dans une famille « assez peu pratiquante » venue du Maroc. Il est arrivé à la religion par sa passion de la musique, qui l’a fait cheminer du jazz à la chanteuse égyptienne Oum Kalsoum, puis à l’Andalousie. Il s’est formé en autodidacte au Maroc, tout en travaillant après une maîtrise en sciences économiques.
« Je n’ai aucun problème avec ma culture française et musulmane. Je rêve en français, j’aime Voltaire, Rousseau et Léo Ferré. Ce n’est pas un oxymore d’être musulman français. Je veux promouvoir cela.»
Abdelkader Ounissi est né il y a soixante ans en Tunisie. Cet admirateur de Che Guevara se souvient avec bonheur de la vie culturelle sous Bourguiba. Arrivé en France en 1992 et « Français dans l’âme », il a fait une thèse à la Sorbonne dont le sujet était : « Mosquées de France : influence de la visibilité sur le discours. » C’est ici qu’il est devenu imam.
Abdallah Dliouah, 46 ans, semblait, lui, au contraire destiné à le devenir, ayant grandi en Algérie aux côtés d’un grand-père et d’un oncle imams. Pendant toute son enfance, il a passé au moins quatre heures par jour à étudier la religion, avant et après l’école. Lui aussi est arrivé en 1992, à 22 ans, dans l’idée de repartir enseigner en Algérie une fois son doctorat en poche. Il est finalement resté. […]
Pour les musulmans, le climat politique est lourd depuis les attentats djihadistes. La mosquée de Valence a essuyé au mois d’août un départ de feu volontaire. « Nous sommes en première ligne, résume Abdelkader Ounissi. Aujourd’hui, la communauté a peur. Elle nous demande d’expliquer ce qui se passe. Pourquoi ce matraquage toute la journée, qui demande aux musulmans de choisir entre la France et l’islam. Zemmour a libre cours et il n’y a pas de riposte des politiques. Il y a chez beaucoup des doutes sur l’avenir. »
L’idée de partir travaille certains fidèles. A l’approche des élections, ces imams veulent malgré tout les pousser à s’inscrire sur les listes électorales et à voter.
Le Monde