Fdesouche

Tribune de Samia Hathroubi, déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding, publiée sur le site musulman saphirnews.
La Foundation for Ethnic Understanding promeut le dialogue entre les communautés juive, musulmane, noire et latino.

L’actualité récente ne nous a pas non plus épargnés. Raphaël, trentenaire hyperactif, entrepreneur social, a deux enfants scolarisés dans une école juive. Depuis quelque temps, il prépare son départ. Il refuse que ses enfants soient une génération née derrière des barrières. Mehdi n’en peut plus d’être regardé comme un potentiel délinquant ou un potentiel terroriste. Ou un potentiel gadget de la diversité pour colorer des entreprises, médias et mouvements politiques trop blancs.


J’en avais rencontré des étudiants brillants, de bons élèves produits dans nos lycées de centre-ville, des enfants à qui on répète depuis le collège que seules les classes préparatoires sont dignes d’eux. Je dois avouer qu’ils m’avaient fait peur tous ces enfants de profs, ces enfants de cadres supérieurs un peu trop sûrs d’eux, ils m’avaient agacée tous ceux pour qui la littérature ne pouvait se réduire qu’à des citations d’œuvres « classiques » pour agrémenter des copies pédantes et pompeuses.
Nora était différente. Elle était normalienne, un avenir brillant s’ouvrait à elle. Pourtant, après cette première année en Grande-Bretagne, Nora n’est plus jamais rentrée en France. […] Une décennie plus tard, rien ne change. La réalité est là ; le discours, en revanche, a changé. Le dernier en date m’a donné envie de gerber. Fini le temps où l’on dénonçait les discriminations pour ce qu’elles sont : intolérables pour ce qu’elles sont par essence. Non, aujourd’hui, chercheurs et médias nous expliquent pourquoi la discrimination doit être enrayée : parce qu’elle coute cher ! Et si elle nous faisait gagner de l’argent, on la maintiendrait ?
Depuis une décennie, les Deborah, Illana, Nadia, Nora, Asma, Mehdi se sont barrés. Les uns après les autres. Alors, oui, vous me direz, notre génération vit dans un village global. Et, oui, ceux qui le peuvent s’en vont et font rayonner le savoir français ailleurs. […] Je constate trop souvent chez nombre de personnes de bonne foi cette incapacité à regarder la France telle qu’elle est. Ni identité malheureuse ni identité heureuse. Juste une identité réelle, au plus proche du quotidien. Une identité faite de diversités convictionnelles, ethniques, culturelles. Une diversité qu’il faudrait taire, bannir, effacer, soit au nom d’une laïcité à qui on tord le cou, soit au nom d’un passé assimilationniste que l’on définit comme bon nous semble.
À chaque échéance électorale, inexorablement, on débat de notre passé (fantasmé) de Gaulois. Pendant ce temps, certains se barricadent dans une contre-identité, d’autres font le choix du départ.
Il y a des jours où, perdue dans mes pensées dans une gare ou un hall d’aéroport, moi aussi je pense au départ. Comme Nora et les autres, je fantasme sur un ailleurs. Pourtant, mes pas me ramènent toujours ici. Chez moi. Là où peut-être je me sens la plus utile. Là où mes engagements et mes actions plaideront pour une identité apaisée, réconciliée.
saphirnews

Fdesouche sur les réseaux sociaux