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Tribune de Philippe Huneman, philosophe des sciences, sur l’identité

L’auteur précise l’ensemble de ses titres et fonctions à la fin de l’article : Directeur de recherches à l’Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques (CNRS / Université Paris I Sorbonne); Directeur du GDR CNRS «Savoirs de l’environnement et humanités environnementales»;Professeur affilié, University of Toronto.

Le programme de Nicolas Sarkozy est encore vague, mais un leitmotiv s’y annonce tonitruant: l’identité. Placardé sur la quatrième de couverture de son manifeste de campagne, ce thème promet d’être central dans ses discours et ceux de ses lieutenants. C’est le «défi de l’identité». […].

Peu d’étonnement toutefois : l’identité est une soupe que nous servent depuis quelques années, dans leurs livres ou sur les plateaux , nombre d’intellectuels et de politiques, sans qu’on sache bien qui est à la traîne de qui. Le bulldozer Sarkozy s’engouffre donc dans une brèche ouverte par les succès éditoriaux d’Eric Zemmour ou d’Alain Finkielkraut, dont le best-seller s’intitulait précisément «l’Identité malheureuse». […]

Philosophiquement parlant, l’identité est la relation logique minimale dénotée par le signe =, et incontestablement à l’œuvre dans l’établissement du fait primitif que pour n’importe quel A il est vrai que A=A. Lui faire signifier davantage que cela est tâche métaphysique ardue. Mais ce discours prend une résonance nouvelle si on le confronte avec une autre thématique de l’identité en souffrance, certes bien plus minoritaire, assez underground même, peu portée par des mâles blancs de plus de 50 ans et plutôt cantonnée dans des forums Reddit ou des Tumblr – à savoir ce qu’on pourrait appeler la trans-souffrance. […]

Chacun connaît les transgenres – ces individus qui sont physiquement d’un sexe mais au profond d’eux-mêmes n’y correspondent pas. Leur identité vraie ne cadre pas avec celle que les autres leur attribuent.

Or depuis une dizaine d’années, dans ces marges que l’internet rend visibles, de nombreuses déclinaisons sur ce thème éclosent régulièrement. Le transfat est le gros dans un corps de maigre: il fait 60 kilos mais au fond de lui il sait qu’il est gros. Le transrace est un Noir dans un corps de Blanc, à l’image de cette Rachelle Dolezal, égérie des droits civiques dénoncée comme fausse Noire à l’été dernier – ou bien, beaucoup plus rare, Blanc dans un corps de Noir. Le transdisabled est un homme ou une femme valide, mais qui se sait, en son for intérieur, aveugle ou en chaise roulante. Enfin, comme un passage à la limite de tout cela, l’otherkin est cet humain qui sent bien qu’au fond de lui il est une chauve-souris, un girafon ou un fennec. […]

Et si même l’identité d’un castor ne s’arrête pas simplement à ce qu’il a reçu de ses parents castors, comment les choses pourraient-elles être simples lorsqu’on parle de l’identité d’une nation? La réponse à la question «qu’est-ce que la France?» inclura pareillement toute une somme de non-Frances. […]

Le Nouvel Obs

Merci à Romain-Guillaume de Mastarte

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