Tribune de Pascal Bruckner, romancier et essayiste, sur l’élection de Donald Trump. Elle est intitulée : «Un triomphe pour les papys braillards».
[…] A chaud, on peut dire que Donald Trump l’a emporté pour trois raisons. Il a d’abord piétiné allègrement tous les codes du politiquement correct, auquel il a répliqué par le politiquement direct, voire le politiquement abject. Tout au long de sa campagne, il a ignoré la courtoisie élémentaire d’une société multiraciale, ce qui lui a permis d’insulter, au gré de ses humeurs, les Mexicains, les immigrés, les Noirs, les musulmans, les Chinois et quiconque objectait à son programme. […]Pour ma part, je ne vois dans cette victoire qu’un aspect positif : le triomphe des papys braillards. Trump défie toutes les lois de l’âge et de la sénescence. Hyperactif, tonitruant, infatigable, il redonne de l’espoir à tous les septuagénaires. Voilà qui devrait conforter le favori de la droite républicaine chez nous, certes moins flamboyant, mais qui pourrait prendre exemple sur son homologue d’outre-Atlantique pour préserver son tonus.
Ce Néron narcissique et libidineux a su admirablement capter une humeur, une colère et incarner ce qu’il y a de pire en Amérique. Il est lui-même caractéristique de cette nouvelle bourgeoisie qui emprunte l’habit et les manières des voyous et confond la persuasion avec les menaces. Seule consolation : une victoire de Hillary Clinton aurait débouché possiblement sur une guerre civile, fomentée par les électeurs de Trump, fous furieux d’avoir perdu, alors que les démocrates, dépressifs, intérioriseront leur défaite sans violence. […]
Mais Donald Trump, c’est aussi le retour du peuple comme fiction républicaine. Depuis une trentaine d’années, surtout aux Etats-Unis, les politiques de l’identité tendent à remplacer partout les politiques d’aide aux défavorisés. Le Peuple, tel qu’il fut mythifié par la gauche et la droite, disparaît au profit des minorités. L’ethnique supplante le social ; l’éthique, le politique ; la mémoire vive, l’histoire froide ; la lutte des races, la lutte des classes. Partout, s’installe l’habitude de se définir par ses origines, son identité, sa croyance, son genre, son orientation sexuelle. On réaffirme la différence au moment où l’on veut asseoir l’égalité, au risque de reconduire malgré soi les anciens partis pris attachés à la couleur de peau, aux coutumes.
Pour ceux qui n’appartiennent à aucune minorité visible, à savoir les WASP (White Anglo-Saxon Protestants), le Peuple est le dernier refuge où s’abriter, la dernière fiction à laquelle se raccrocher.