Il va falloir faire avec Trump pendant quatre ans. Lire André Bercoff, le journaliste franco-libanais qui a rencontré le futur président, peut aider à comprendre.
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Cela se dessine. Il y a virtuellement la place pour un Fox news français, encore éparpillé. Valeurs actuelles, Sud Radio, qui d’autre? Que fera Bolloré demain de Itélé, si la résistance des méprisés ne l’en expulse pas? C’est une famille. Des réacs, des aigris, des ambitieux, des enthousiastes, des malins. Des bourgeois encanaillés, malins comme Yves de Kerdrel, le patron de Valeurs Actuelles. Ou des puissants, comme le lonesome chef d’entreprise Christian Latouche, patron de Fiducial (la puissance des expertises-comptables et du soutien aux entreprises), donc de l’IFOP, et de Sud Radio, qui pense un jour déborder BFM et RMC: une blague? Latouche se pique de politique, il regarda jadis chez Brunot Mégret, sans lendemain, et va savoir? Je les ai rencontrés, l’été dernier, les gens de Sud, gentils en somme, à l’idée d’un ami qui s’inquiétait pour moi, dans les crises de Itélé; ce n’était pas une idée à poursuivre, évidemment; mais ils sont sûrs d’eux!
Il y a un débat récurrent sur la presse, l’intelligentsia, les élites, nous tous (c’est la canaille, et bien j’en suis) qui auraient négligé le réel, à force d’idéologie et de peur du peuple. Le New York Times bat sa coulpe. C’est chrétien. C’est idiot. Auraient-ils dû, nos grand frères new-yorkais, endosser Trump au nom du peuple? Et quel peuple? Les millions de suffrage de Hillary Clinton ne sont pas moins populaires que les millions de suffrage de Monsieur Trump! Fallait-il expliquer, pour ne pas désespérer le Midwest, que le réchauffement climatique était un piège chinois? Ou qu’il faudrait distribuer des armes dans les ries de nos villes? Considérer que les femmes ne s’attrapent pas par la chatte (pussy), que les mexicains ne sont des violeurs et des trafiquants, ce genre de chose, est juste une forme de common décency. Va-t-on la sacrifier?
Il faut être Valeurs Actuelles pour le faire. C’est une ligne, d’aller chercher l’aigreur d’un de Villiers pour vanter la «France sans islam» –c’est leur cover, cette semaine. On ne saura pas faire. Pourtant on fait déjà, un peu plus soft, si l’on est honnête. Rebaptisé «laïque et républicain», le discours de méfiance envers l’islam, plus poli que du De Villiers, mais au fond dans sa continuité, est déjà largement chez lui, chez les gens bien élevés… De Villiers à Valeurs, Kepel à l’Obs? C’est assez ballot, parce que ça ne change rien. Cela contamine les lecteurs tolérants à l’idée que la peur est une clé de ce monde. Cela ne rattrape pas la part du peuple qui s’en est allée.
(…) On va bouffer du Trump, dans les mois qui viennent. On va lire Valeurs, et Bercoff. Je ne suis pas inquiet. Ils seront invités à nos tables de débats. Ils sont ceux qui détiennent une vérité, puisque Trump est. Le vieux Figaro ne sera pas en reste. Et si là était la voie? La droite déjà ronronne devant la perte de Hillary. Nicolas Sarkozy se voit-il en Trump?
Il ferait mieux de se regarder, de comprendre d’où il parle, et de relire Bercoff, pour ce qu’il raconte de la prise des Républicains par le Bonaparte peroxydé. On ne s’improvise pas ange exterminateur des vieilles forteresses. Il ne suffit pas d’être malpoli, de médire de la gauche et des femmes et de l’islam… Il faut aussi raconter des histoires au prolétariat mal embouché. Et être d’un autre monde, dans sa brutalité. Nos hommes de droite sont bien trop propres pour devenir Trump. Des minets de Neuilly, des demi-puceaux en parka rouge, des énarques qui croient avoir brisé le moule quand ils s’aventurent à trois stupidité sur les pains au chocolat que volent des arabes aux enfants. Ils sont veules, démagogues, ils disent «crotte», comme dans un sketch des Inconnus, quand le Trump chiait à la gueule de son camp. Il l’avait dit, il y a longtemps, que les républicains étaient idiots, et donc prenables… il en est aussi des nôtres, prenables dans la tornade. On sait par qui. On a peut-être une chance en France, nous autres de la décence, c’est que Marine Le Pen est une héritière, et polie au fond d’elle? On devrait se souvenir aussi qu’elle piétina son père, que la haine et la brutalité marquèrent son enfance, et qu’elle peut se prendre pour une vengeance, si on la croit.