Chronique de Daniel Schneidermann
Arrêtez tout, on a trouvé le coupable. Le coupable de ce résultat inimaginable qui va porter Trump à la Maison Blanche. On l’a identifié, avec nos caméras et nos carnets de notes. Et le coupable, c’est la « colère ». C’est Le Monde, qui fait part de la grande découverte. « Pendant un an, nos reporters ont sillonné les Etats-Unis, pour glaner la parole des électeurs, et raconter la colère qui s’est finalement exprimée mardi », résume Le Monde, qui a collationné des extraits de reportages publiés tout au long de la dernière année.
(…)
Ce mot « colère », utilisé dans le chapeau de cette « plongée », ne figure pas une seule fois dans le corps de cet article. Mais peu importe. Il est venu tout seul sous la plume du rédacteur de ce chapeau, exprimant ainsi sa propre opinion, qu’il communique à ses lecteurs : le vote Trump ne peut être qu’un vote d’émotion, par opposition au seul vote de raison imaginable, le vote Clinton.
L’électeur trumpiste, comme en Grande-Bretagne l’électeur du Brexit, comme en France l’électeur lepéniste ou mélenchonien, ne vote pas. Par exemple, il n’exprime pas une « opinion » en faveur du protectionnisme ou contre la mondialisation incontrôlée, opinion formée à partir d’informations vérifiées sur les délocalisations, ou les fluctuations du yuan, informations aujourd’hui facilement accessibles à quiconque est doté d’une connexion internet solide.
Non, il crie son désespoir, sa frustration, sa colère, il se sent abandonné, il attire l’attention, il lance un cri d’alarme, un avertissement que les gens sérieux (les politiques, l’élite) devraient maintenant, enfin, mais qu’attendent-ils donc, entendre et prendre en compte. Il gronde, comme « grognent » depuis toujours les syndicalistes, les usagers des transports, les chauffeurs routiers, les taxis, et ces jours-ci les infirmiers ou les policiers. Comme les bonobos, il n’est évidemment pas tout à fait humain, mais si proche !