Harangues, palabres, plans drague plus ou moins louches : au Tarmac, à Paris, la pièce de Marielle Pinsard se joue des codes amoureux de l’argot ivoirien.
Qu’est-ce qu’un maquis ? Comment bien brouter sa proie ? Vaut-il mieux être boucantier ou djogodjogo ? Le spectacle de Marielle Pinsard adapte pour la scène tout un riche lexique de la drague venu d’Afrique francophone : on y apprend que pour pécho le «Choco» ou le Blanc, la go se doit de déployer le bon «bwobwo» ou mouvement. Faire résonner le noussi, argot de la jeunesse ivoirienne, est l’une des réussites de On va tout dallasser Pamela ! – pour autant que l’on soit sensible à cette tchatche et à ses invectives hilarantes («Virus Ebola séché ! Espèce d’albinos libanais !»).
Le plateau du Tarmac (Paris XXe), vidé à l’exception d’un DJ perché avec ses platines sur une énorme tête de singe mécanique, accueille au centre de la scène une dizaine de jeunes comédiens sapés exposant tour à tour leur expérience de pros du flirt entre deux intermèdes dansés et chantés. C’est à qui ambiancera le mieux la salle : «Est-ce que ça va, le Père-Lachaise ? Ouaiiis!»
Fruit d’une enquête de terrain menée entre Brazzaville, Cotonou et Abidjan, ce petit précis des nouveaux rapports amoureux n’évoque jamais Tinder ou d’autres applis de rencontres, pourtant devenues le passage obligé du dating dans les capitales occidentales. Quid du romantisme et des sentiments? Pour toute une génération d’Afrique de l’Ouest, ce sont la corruption et les conflits armés qui ont redéfini l’intimité. Si l’on a certes besoin de chaleur humaine, c’est d’abord l’argent qui manque, d’où le recours aux arnaques sur Internet – le «broutage» -ou dans la rue. Plumer les Blancs et se faire entretenir, c’est aussi, disent-ils, s’affranchir d’une dette coloniale. Tout est bon pour ferrer l’Européen, même le marabout et le gri-gri.
Les sortilèges déployés pour parvenir à ses fins en faisant miroiter monts et merveilles sont innombrables, du jeu de regard à la palabre en passant par le changement inopiné de numéro de téléphone. Résultat garanti «en dix jours maximum». «Surtout, ne jamais parler de sexe», confie l’un d’eux, appelé Gbessi. Garçons et filles n’évoluent pas dans la même catégorie : il y a d’un côté les dons Juans, de l’autre les filles légères. Ainsi cette économie du couple fonctionne-t-elle comme un vaste marché capitaliste régi par des échanges sur le principe du «qui paye jouit».
Si elles ne sont pas très éloignées d’une forme de tourisme sexuel ou de prostitution, les recettes de cette parade amoureuse évoquées avec gouaille et sourire enjôleur aux lèvres signalent en tout cas un rapport inégalitaire entre les partenaires, souvent sous-tendu par le racisme. […]
(Merci à C’)