(…) “Tout le monde pense que ‘démocratie’ et ‘élections’ sont synonymes, mais elles ne le sont pas”, explique David Van Reybrouck, interrogé par Télérama. L’historien, qui rappelle que le terme “élections” est étymologiquement de la même famille que “élite”, estime que ce principe, contrairement à l’illusion populaire, n’est pas des plus démocratiques: les élections ne seraient qu’un “moyen privilégié par les élites pour désigner un leader”. Même s’il choisit son leader tous les cinq ans, le citoyen est, le reste du temps, incapable d’influencer ses idées, et donc de participer à la démocratie. Pour le politologue Bernard Manin, le gouvernement représentatif est “mixte”: il “combine des éléments démocratiques et des éléments non-démocratiques”.
Avec les élections, Van Reybrouck remet en cause un autre outil particulièrement vanté par les politiques jugés les plus populistes (et promis par François Fillon s’il est élu en mai): le référendum. “Ces deux procédures restent extrêmement primitives, quand on y songe: avec les élections, il s’agit de cocher une case à côté d’un nom; avec le référendum, à côté d’une question (à laquelle on répond oui ou non)”, tout cela sans être forcé de se documenter sur les programmes ou les conséquences de son choix.
Le vote pourrait-il devenir inefficace car trop souvent irréfléchi? L’analyse des recherches Google effectuées par les Britanniques après l’annonce du Brexit pourrait valoir démonstration: “qu’est-ce que cela implique de quitter l’Union européenne?” figurait en première position.
La solution du tirage au sort des citoyens
Si la dimension proprement politique est à prendre en compte (il existe une réelle adhésion des électeurs au discours présenté comme “anti-système”), “les démocraties libérales occidentales font face à un épuisement de leur mécanisme institutionnel”, estime Yves Sintomer, interrogé par Le HuffPost. Dans un monde qui change, soumis à la mondialisation, le “pouvoir réel” a changé de main selon le politologue, pour passer du politique au financier, à la Banque mondiale ou au FMI. La prise de parole des citoyens, si elle existe, ne peut plus se limiter aux élections. “Il faut complexifier la démocratie, en varier les usages, multiplier les canaux”, plaide Yves Sintomer.
Comme lui, David Van Reybrouck plaide pour la mise en place de “procédures participatives” en dehors des élections. “Par exemple le tirage au sort d’un panel de citoyens représentatifs, volontaires et bénévoles. Ces citoyens délibéreraient au côté des politiques, et seraient tout aussi légitimes qu’eux pour trancher sur les grandes questions relatives à la gouvernance du pays”, explique-t-il.
En 2015, l’Irlande avait montré l’exemple en légalisant le mariage homosexuel par référendum, après qu’une convention réunissant 33 politiques et 66 citoyens tirés au sort s’était déjà prononcée en faveur du “yes”. Cet amendement de la Constitution, discuté dans un pays très catholique, a été décidé après discussions et consultations d’experts, de lobbys, de prêtres catholiques.
Si le système démocratique doit s’ouvrir à des alternatives permettant d’impliquer les citoyens dans la construction des lois, il doit aussi savoir ménager un espace de débat dans ses institutions. Yves Sintomer regrette par exemple “l’hétérogénéité” du contenu de la réforme proposée aux Italiens, qui doit statuer à la fois sur les pouvoirs du Sénat et sur le maillage territorial du pays. “Pourquoi ne pas avoir proposé une série de réponses, au lieu du simple choix entre ‘oui’ ou ‘non’? Cela aurait évité de limiter ce référendum à un plébiscite pour ou contre Matteo Renzi“, regrette le politologue.
“Si je perds le référendum constitutionnel, j’abandonnerai la politique”, affirmait d’ailleurs le Premier ministre italien il y a un an, avant de se rétracter, reconnaissant que c’était une erreur de trop personnaliser le scrutin. Pour cette fois, il semblerait que le mal est fait. Reste à savoir si l’Italie, comme les autres démocraties européennes, apprendra de ses erreurs.