“Il y a eu en quelque sorte substitution d’un prolétariat à un autre”, explique à “Marianne” le politologue et universitaire Laurent Bouvet.
Marianne : Pourquoi la gauche s’est-elle à ce point coupée des classes populaires ?
Laurent Bouvet : […] Une deuxième raison, sociologique, a aggravé ce divorce d’avec le peuple, c’est l’émergence de ce que j’ai appelé « l’insécurité culturelle ». Les gauches, qu’il s’agisse de la social-démocratie ou de la gauche radicale, ont progressivement donné la priorité aux catégories populaires venant de l’extérieur du pays dans leurs projets respectifs.
Pour la gauche sociale-démocrate, dite « moderne », avec la mondialisation des échanges, l’ouverture des frontières et les délocalisations, ces prolétaires venus d’ailleurs apparaissent comme le meilleur moyen de baisser le coût du travail. Pour la gauche radicale, ils sont le prolongement de l’internationalisme et de la lutte anticoloniale. C’est ce qui explique que, dans tous les grands pays industriels, la gauche radicale elle aussi (Jeremy Corbyn, Bernie Sanders ou Jean-Luc Mélenchon…) séduit d’abord des gens diplômés, des jeunes, des catégories dites «ouvertes» à la mondialisation, mais finalement assez peu les catégories populaires. Il y a eu en quelque sorte substitution d’un prolétariat à un autre. […]