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Analyse de Benoit Hopquin, journaliste au Monde, sur la « France de Trump ». Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont “Ces Noirs qui ont fait la France” (2009).


Il fut un temps où l’Atlantique était un océan. C’était avant que la téloche, le Concorde puis Internet ne réduisent cette immensité aux proportions d’un ruisseau. Mais de cette époque depuis longtemps révolue nous reste le sentiment que les Américains ne sont pas faits du même bois que nous. Il y a toujours, insidieuse, l’idée d’une lointaine peuplade, avec ses mœurs, ses rites et ses lubies. […] On se répète : « C’est loin l’Amérique… » Quelle myopie !
Comme si nulle caravelle jamais ne traversa l’océan. Comme si ce qui se passe dans ce Nouveau Monde appartenait toujours à un autre monde. […] Qu’il est commode, réconfortant, au fond, de vouloir réduire l’électorat de Trump à des clichés : nostalgiques du Ku Klux Klan, gagas de la gâchette, bigots les bras en croix ! Mais, à lire les reportages du Monde sur cette Amérique en rupture de ban, comment ne pas voir plus qu’une proximité, plus qu’un cousinage, un vrai mimétisme des deux rivages ? Comment ne pas comprendre que cette élection s’est déroulée à un jet de pierre, un ricochet sur l’eau. Et que sa semblable – sa pareille ? – se prépare ici. Tant elle est là, sous nos yeux, même si nous rechignons à la voir, cette France de Trump. Elle est la même, exactement la même, simplement en VF. […] On écoutait les évangéliques de la Bible Belt (la ceinture de la Bible), corset de religion qui enserre le sud des Etats-Unis. Ces culs-bénits racontaient leur réprobation de mœurs qu’ils jugeaient dissolues, mais aussi leur recherche d’une morale de vie. On repensait alors à La Manif pour tous. En parcourant les rangs de ces centaines de milliers d’opposants au mariage des homosexuels, on avait effleuré ce même mélange confus, entre rejet et foi, entre sectarisme et éthique, cette même quête de sens au risque de l’intolérance. […]

On repensait en fait à tant de visages que cela en devenait effrayant. Tous ces déclassés emplis de rage, car c’est bien de rage qu’il s’agit, tous ces électeurs qui croient qu’ils n’ont rien à perdre…

A la merci des beaux parleurs, des marchands d’illusions, en quête d’un patron plus que d’un président, d’un big boss qui leur fera miroiter une paternaliste protection. Ils sont si nombreux de ce côté de ce ru qu’on appelle l’Atlantique.
Le Monde

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