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Le directeur de la chaire Moyen-Orient-Méditerranée à l’École normale supérieure, Gilles Kepel, nous explique pourquoi Berlin a longtemps cru pouvoir échapper au djihadisme.

Que vous inspire l’attentat de Berlin ?

[…] Quel que soit le résultat de l’enquête sur le suspect, la tuerie est appréhendée dans le cadre de la polémique suscitée, en Allemagne, par la politique d’accueil de grande envergure des demandeurs d’asile par Angela Merkel. La possibilité que se glissent parmi eux des djihadistes est avérée, même si ce fait suscite un soupçon sans fondement à l’égard de l’ensemble des réfugiés.

Le regard des décideurs publics sur le terrorisme islamiste a-t-il changé outre-Rhin ?

Beaucoup d’élus, de journalistes et d’universitaires allemands estimaient jusqu’alors que la France portait une grande part de responsabilité dans les attentats djihadistes qui l’endeuillaient. Le voisin français était une ancienne puissance coloniale qui avait eu des torts et qui, selon eux, subissait une sorte de ressac. La France, contrairement à l’Allemagne, ne fournissait pas de travail à ses habitants de confession musulmane dans les quartiers défavorisés. Les Français, d’après nos voisins, pratiquaient une laïcité agressive, qu’attestait la loi sur le voile à l’école. Paris, à la différence de Berlin, refusait d’accorder un statut convenable à l’islam. Bref, pour les élites d’outre-Rhin, la France représentait un contre-modèle. À les écouter, l’Allemagne, elle, manifestait efforts d’intégration, bienveillance et ouverture, ce qui était porté à son crédit et ôtait toute raison de commettre des attentats sur son sol. […]

Quelles conséquences pour l’opinion allemande ? Depuis plusieurs mois déjà, une partie de l’électorat des partis traditionnels basculait dans une hostilité à l’accueil des demandeurs d’asile et manifestaient même une hostilité à l’islam en général. Ce changement est singulièrement puissant parmi les électeurs de gauche. […] L’attentat survenu à Berlin, ville plutôt bobo, ne peut qu’accentuer cette hostilité. L’AfD en tirera parti. […]

Outre la lutte policière contre le terrorisme islamiste, quel enjeu pour la France dans les mois qui viennent ?

[…] L’immense majorité des musulmans qui vit en France est hostile à l’État islamique. Les djihadistes et leurs sympathisants, eux, s’efforcent de les prendre en otage. Ils affirment que notre pays est « islamophobe », à tort, et rêvent d’un développement séparé des populations, d’une sorte d’auto-apartheid infligé. Une mouvance « islamo-gauchiste » soutient leurs revendications dans les médias. En face se développent des groupes identitaires d’extrême droite. Un des enjeux cruciaux de la présidentielle de 2017 tiendra dans la capacité du prochain chef de l’État à réduire cette fracture. […]

Le Figaro

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