Le début de ce siècle a vu se poursuivre et s’accélérer le grand exode des chrétiens du Moyen-Orient. Alors qu’ils représentaient avant la Première Guerre mondiale environ 20 % de la population de la région, les chrétiens de toute obédience ne sont plus, cent ans plus tard, que 2 ou 3 %. Un déclin probablement irréversible.
Taux de natalité plus faible et plus forte tendance à l’émigration sont les principales raisons avancées par les démographes pour expliquer le déclin de la présence chrétienne sur les terres où est née cette religion. Mais les persécutions perpétrées sous des prétextes divers par la majorité musulmane sont largement responsables de cet exil.
Souvent annoncée, la disparition de communautés entières est devenue une réalité. En Irak, la grande majorité des chrétiens restants sont des déplacés intérieurs. Pour la première fois en deux mille ans, il n’y a plus de chrétiens à Mossoul ni dans la majeure partie de la Mésopotamie. Chassés par l’État islamique, les habitants assyriens et chaldéens de la plaine de Ninive vivent depuis deux ans dans des caravanes dans des camps de réfugiés au Kurdistan. Ils ont ces derniers mois subis un deuxième choc. La libération de leurs villes et de leurs villages s’est accompagnée de la découverte de leurs églises profanées et de leurs maisons pillées par des militants de l’État islamique, souvent venus des villages voisins.
La politique de nettoyage confessionnel de l’État islamique a largement fonctionné.
La plupart des chrétiens de Ninive ne retourneront pas chez eux ou seulement pour vendre leur terre ou leur maison, avant de s’installer définitivement au Kurdistan ou d’émigrer vers l’Europe, l’Australie ou l’Amérique du Nord. Dernier avatar historique de l’islam radical et conquérant, l’organisation djihadiste a achevé un mouvement commencé par d’autres acteurs, étatiques ou non. Ce phénomène peu ordinaire, qui a vu la première religion mondiale peu à peu évincée des terres qui l’ont vu naître, s’est déroulé par étapes, souvent sous les yeux de la chrétienté occidentale.
[…]
«Si leur disparition complète est improbable, affirme l’historien Jean-Pierre Valognes, on peut penser qu’ils se réduiront à une somme d’individualités hors d’état de maintenir la vie communautaire indispensable à la préservation de leur identité. (…) C’est dire que ce qui faisait leur richesse n’aura plus court. (…) Le Moyen-Orient arabe y gagnera l’homogénéité religieuse que sa vision théologique suppose. (…) Il y perdra les atouts du pluralisme, ce dont les islamistes n’ont cure.»