Les premières barres d’immeuble du quartier prioritaire du Grand Garros vont être détruites courant 2017.
Ils étaient les premiers à avoir posé leurs meubles à D’Artagnan. La barre venait de sortir de terre, à côté de sa voisine, Porthos, toutes deux ceinturant fièrement la place de la Fontaine, au cœur du quartier du Grand Garros, à Auch. C’était le 1er mars 1974, quelques années après la naissance de la zone à urbaniser en priorité (ZUP), l’unique du Gers, au pied des champs de céréales, à quelques encablures des producteurs de foie gras.
Le couple Soucek – lui chauffeur routier, elle mère au foyer – y avait atterri avec d’autres familles rapatriées d’Algérie. « C’était la belle époque », sourit la vieille dame en dépliant le bail jauni par le temps. (…) Quarante-deux ans plus tard, dans l’appartement rongé par la moisissure noire et le hall aux relents d’urine, les beaux souvenirs ont un goût d’amertume. Car, au fil des décennies, la barre s’est dégradée. Au point de devenir inhabitable. Les locataires ont dû s’y résigner : D’Artagnan et Porthos seront détruites courant 2017. « Aérer », « reconnecter au territoire » : la renaissance du quartier passait par là.
Ici, on pensait tout ça réservé aux banlieues, « les vraies », les dures, celles de l’autre côté du périph, les mises au ban des grandes villes. Pas à une cité des champs à 2 km du centre-ville (…). De la petite délinquance et des poubelles qui brûlent de temps en temps, c’est vrai, mais « des jeunes qui disent toujours bonjour ».
Le petit quartier n’en partage pas moins avec les « banlieues » des immeubles vétustes, des installations dégradées et des indicateurs sociaux alarmants : 22,4 % de chômage en 2014, autant de familles monoparentales et un revenu annuel médian qui descend à 7 056 euros.
(…) Traduction de l’un des engagements de campagne de M. Hollande : celui de l’égalité des territoires. Une réforme critiquée par certains spécialistes, qui estiment qu’en faisant l’impasse sur la problématique des discriminations, elle occulte les vrais enjeux. Et lui reprochent une dimension politique : prouver qu’il n’y en a pas que pour les minorités des banlieues et s’occuper de la France des sous-préfectures pour enrayer le vote Front national.
Au Garros, tous se souviennent du passage de François Hollande, en août 2013. « Un grand enjeu pour mon mandat, c’est de permettre à chacun de penser (…) qu’il n’y a aucune préférence pour certains quartiers par rapport à d’autres, avait expliqué le président ce jour-là. La politique de la ville, elle concerne tout l’espace français. » Le Garros devenait l’un des visages de cette réforme. Zineb Dehbi, mère célibataire de 45 ans, traits de Madone sous son foulard, se souvient de l’espoir ressenti. Le Garros allait être aidé, ils avaient « pris conscience que les quartiers des campagnes souffrent aussi ». Pour s’occuper de son fils de 9 ans, hyperactif, cette Mère Courage a cessé de travailler. Elle vit de plusieurs aides, mais tient « grâce à la solidarité de ce quartier », devenu « une famille ».
Il y a le centre social, les associations, les écoles… tous ceux qui font battre le cœur du Garros depuis toujours. Et oublier le déclin du petit espace commerçant, place de la Fontaine : « Là, il y avait la boulangerie, ici le coiffeur, le Crédit agricole… », montre Mme Dehbi. Tous sont partis. Comme les familles d’enseignants ou d’infirmiers, qui ont déserté au fil des décennies. Et avec eux, la mixité sociale. Fatale antienne des quartiers populaires.
(…) Zineb Dehbi n’est pas pressée. Quitter Porthos, son premier « chez [elle] », fut pour cette exilée marocaine un « déchirement ». Mais elle sait que c’est « dans l’intérêt du quartier » et a été bien relogée, dans un T3 lumineux avec grand jardin.
(…) Les jeunes, eux, sont plus partagés. Originaire de Mayotte, Himidati, 25 ans, qui élève seule sa fille de 3 ans, trouve tout ça « positif » et se sent « bien accompagnée », ici. La mission locale l’a aidée à financer son permis de conduire, à faire une formation et, aujourd’hui, à chercher du travail. Nessim, 19 ans, qu’on retrouve chaque jour sur la place, où il tue le temps, préfère, lui, « attendre de voir ». Car « des gens qui nous font des promesses et nous la font à l’envers, on connaît que ça ! ». Farid, 17 ans, survêt’ Lacoste, s’agace des presque 3 millions d’euros débloqués pour démolir les barres (financés à 70 % par l’Agence nationale de rénovation urbaine), qu’il préférerait pour sa part voir consacrés à la reconstruction de la mosquée, incendiée en août 2015. Un acte criminel qui a bouleversé le quartier. L’enquête est toujours en cours. En attendant que le nouveau lieu de culte soit construit, les fidèles prient dans des préfabriqués.