[…] La lutte contre Daech n’est-elle pas une nouvelle forme de lutte des classes plutôt qu’une nouvelle forme de guerre ?
J’en suis convaincu. Grâce à Daech, on peut haïr officiellement les nantis, sans représailles. Daech offre un territoire où toute la haine recuite, toutes les humiliations ont pignon sur rue. L’État islamique, c’est un peu “Racaille Land”.
Tout ce qui est inadmissible ici est non seulement permis là-bas mais encouragé, alimenté, exacerbé, et ce au nom d’Allah. Quand les incivilités urbaines rencontrent Dieu, le cocktail n’est pas Molotov, comme en 1968, il est meurtrier, comme l’ont montré les attentats passés, présents et, malheureusement, à venir.
Pour les djihadistes, le Coran ne contient plus de versets réellement sacrés mais des “versets prétextes”. Les tueurs du 13 novembre s’y connaissaient davantage en cannabis qu’en philologie. On en arrive à décortiquer le Coran, nous, Européens, à nous y pencher, à le sonder sous prétexte que quelques abrutis qui l’ont ouvert in extremis ont joué dehors à la carabine. Il y a une disproportion vertigineuse entre notre sérieux, qui nous honore, et leur légèreté, qui nous détruit.
Est-ce que la guerre contre Daech n’est pas d’abord une guerre contre les pauvres des cités abandonnés au chômage ?
Le seul point commun aux violences dites radicales, des anarchistes aux djihadistes en passant par les rockeurs, les punks, les skin, les zoulous ou les rappeurs, c’est la jeunesse. Chaque génération entend exister par la violence qu’elle invente et s’invente. Mais cette fois, la dimension religieuse, alliée parfois à l’origine, à la naissance, lui confère une intensité plus grande.
Quant aux explications sociales, je les récuse complètement, ce serait rechercher une grille de lecture à partir de quelque chose de connu, de répertorié, et donc de rassurant. Il faut accepter qu’il n’y ait pas de grille de lecture générale qui vaille ici. D’autant que près du tiers des djihadistes sont des convertis. Nombreux, également, sont ceux qui ont mené de brillantes études. […]
Paris Match
Merci à oxoxo