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Patrick Boucheron est historien et professeur au Collège de France. Il a coordonné “Une histoire mondiale de la France” où 122 chercheurs racontent notre passé “avec un oeil neuf”. Un ouvrage qui ne parle ni “d’identité”, ni de “civilisation française”…

Notre histoire mondiale de la France est une histoire laïque. Il n’y a rien de providentiel dans ce récit qui n’évoque jamais la possibilité qu’il puisse y avoir une “France éternelle”.

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Mais pourquoi l’école a-t-elle enseigné si longtemps “nos ancêtres les Gaulois” ?

En réalité, l’école républicaine valorisait surtout les “petites patries”, celles des régions : elle exaltait beaucoup moins qu’on ne le dit les origines gauloises de la nation. La nostalgie scolaire repose souvent sur ce que les psychologues appellent des faux souvenirs : on pleure la perte de ce que l’on n’a jamais eu. De là une instrumentalisation politique continue…

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Est-ce aussi l’histoire d’un affrontement avec l’Islam?

Non, je ne crois pas du tout qu’il s’agisse là d’un affrontement essentiel. Nous ne nous attardons pas sur un autre mythe du légendaire national comme la bataille de Poitiers. Mais en choisissant la date plus sûre de 719 (le partage du butin de Ruscino), on montre que les rapports entre la royauté franque et les minorités musulmanes ne sont pas simplement de pillages et de combats. On essaie de calmer le jeu… de raconter tranquillement qu’il y a une minorité musulmane depuis bien plus longtemps qu’on ne le croit. Longtemps invisible, à côté d’autres présences minoritaires, juives par exemple. On montre par exemple qu’un des premiers écrivains français est un rabbin de Troyes qui s’appelle Rachi, mort en 1105. En même temps, notre histoire n’est pas une histoire irénique. Il y a aussi un article sur la traduction du Coran en 1143, titré “l’exécrable Mahomet” : car c’est ainsi que l’appelait l’abbé de Cluny qui cherchait à le connaître pour mieux le combattre… […]

Il y a des moments où la France a été menacée de disparition…

Oui, deux événements peuvent se faire écho : 1420, le traité de Troyes, et la défaite de 1940, comme deux dates qui auraient pu défaire la France. Le moment Jeanne d’Arc est un moment où effectivement le royaume de France aurait pu disparaître dans une union de couronnes entre la France et l’Angleterre – ce qui était une manière très courante en Europe de faire la paix. […]

Le fil rouge de notre histoire commune, c’est cette volonté “mondiale”.

Oui, à plusieurs moments qu’on tente de désigner, les Français, la société française, les pouvoirs français, pour ne pas dire la France, ont une ambition universelle, de parler pour le monde, en son nom. Il y eut déjà une forme d’universalisme romain poursuivi par l’idéal chrétien. Avec le “moment Louis XIV” commence la prétention française à gouverner et à représenter le monde. Mais à partir de la Révolution française, c’est le monde qui renvoie à la France son statut si singulier de patrie de l’universel. Au XIXe siècle il y a aussi une mondialisation à la française, qui s’exprime par l’expansion économique, mais aussi par le progrès des savoirs…

Elle est ratée… pourquoi rate-t-on la mondialisation?

Je ne sais pas si elle rate… Après Louis XIV, après Napoléon, il s’agit plutôt d’un retour à la normale. Les moments où la France en impose au monde sont toujours des moments très brefs et illusoires… toujours un peu “surdimensionnés”.[…]

Le JDD

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