Deux associations qui avaient attaqué Pascal Bruckner pour diffamation suite à des propos sur l’islamisme ont été déboutées par la justice. Pour Laurent Bouvet, c’est une victoire importante pour la liberté d’expression.
FIGAROVOX. – Pascal Bruckner comparaissait mercredi devant la 17e chambre pour des propos visant deux associations, selon lui, «complices idéologiques» des terroristes: «Les Indivisibles» de la militante antiraciste Rokhaya Diallo (qui n’en est plus membre) et «Les Indigènes de la République» d’Houria Bouteldja. Le philosophe avait déclaré sur le plateau de «28 Minutes», une émission d’Arte, qu’il fallait «faire le dossier des collabos, des assassins de Charlie» et accusé ces associations de «justifier idéologiquement la mort des journalistes de Charlie Hebdo». Que pensez-vous de cette décision? Est-ce une victoire de la liberté d’expression?
Laurent BOUVET. – Cette décision est importante. D’abord, en effet, parce qu’elle est une victoire de la liberté d’expression. Une liberté d’expression de tous ceux qui refusent de se laisser intimider par les entrepreneurs identitaires, comme les Indivisibles ou le PIR, qui utilisent tous les moyens possibles (des réseaux sociaux à la justice) pour faire progresser leur vision communautariste et séparatiste sur une base ethno-raciale dans la société française.
C’est aussi une décision importante parce qu’elle met en évidence un phénomène souligné notamment par Pascal Bruckner dans son propos incriminé: la continuité idéologique entre les formes les plus violentes, terroristes et djihadistes, et les formes les plus anodines de la dérive islamiste ou de l’islam politique. Il s’agit en effet d’une différence de degré mais pas de nature entre les unes et les autres.(…)
Sur le fond, le mot «collabo» employé par Bruckner n’est-il pas excessif?
Le mot paraît fort parce qu’il renvoie à la Seconde Guerre mondiale et à l’Occupation, aux «collabos» français avec le nazisme. Mais au-delà de cette évocation historique, il dit bien ce qu’est cette continuité idéologique. Quand on justifie ainsi un premier acte de violence contre un journal comme Charlie Hebdo parce qu’on n’en apprécie pas le contenu, on joue un jeu dangereux dont la tuerie du 7 janvier 2015 sera l’aboutissement tragique. Si les frères Kouachi sont passés à l’acte, ce n’est bien évidemment pas en raison de telles déclarations mais elles font partie d’un contexte général, d’un contexte défavorable à la liberté d’expression dont Charlie Hebdo était déjà un symbole depuis l’affaire des caricatures de Mahomet.(…)
Lors du procès, Sihem Habchi, ancienne présidente de «Ni putes ni soumises» a évoqué un «fascisme vert», mais aussi un «fascisme blanc» – qui propage «l’idéologie de l’opprimé et installe l’idée que ces jeunes ne sortiront jamais de leur condition et que les coupables sont la République et la France». Certains intellectuels ont-ils aussi une responsabilité dans cette dérive?
Oui, cette forme d’explication de tous les phénomènes dans la société par le social, et plus précisément par les effets de domination sociale, caractéristique aujourd’hui de tout un pan des sciences sociales françaises fournit son carburant en quelque sorte aux entreprises identitaires. Elle permet en effet à tous ceux qui agissent politiquement sous le couvert de la religion – de l’islam politique tout spécialement – de justifier leur idéologie par une forme d’empirisme qui serait incontestable et imparable. Les jeunes qui versent dans le djihad, par exemple, seraient des dominés, des exclus et des discriminés à la fois, «victimes» (avant donc d’être coupables de quoi que ce soit) des inégalités et de «l’islamophobie» d’une société française décrite comme fermée et figée dans une identité spécifique (laïque, «blanche», occidentale, chrétienne, etc.).
Cette rencontre de la sociologie dite critique et des dérives idéologiques contemporaines conduisent, au sein de la gauche radicale ou encore du féminisme notamment, à de bien étranges positionnements. Celui, par exemple, qui consiste à expliquer que l’émancipation des femmes musulmanes passe par la liberté de porter le voile. Une liberté non seulement totalement individualisée mais qui ne s’embarrasse même plus de la question de la domination masculine.(…)
Merci à cernunnos