Un atelier cinéma permet à un groupe de lycéens aux origines diverses d’exprimer leur ressenti sur le pays. Un reportage de notre série #FrançaisesFrançais.
(…) En juin dernier, Sabrina Janvier a ouvert la porte de sa classe à Kinza Huxley, une animatrice culturelle. Agée de 36 ans, elle vient leur proposer le « projet cinéma », porté par la MJC. D’emblée, la jeune femme les bouscule en osant une question : « Qui, ici, se sent français ? » Sur trente élèves, deux lèvent la main. « Celui qui s’appelle Antoine a baissé la tête, » se souvient-elle. « Ils nous renvoyaient ce qu’on leur lance au visage tout le temps. » Qu’ils ne seraient pas vraiment français. « En tout cas pas autant que les autres. Pas assez. »
Sac de la caméra à l’épaule, voix calme tranchant avec les rires éclatants de ses camarades, Yoan, 18 ans, raconte pourquoi il a tenu à passer deux après-midi par semaine à réfléchir sur ce que signifie être français. « Je savais que ça allait faire débat, même entre nous. » Il voulait à tout prix faire entendre sa voix. Né ici de parents congolais, il ne voit pas en quoi être « français avec des origines » poserait un problème d’incompatibilité, même si « certains nous mettent à l’écart », explique-t-il.
(…) Les contrôles policiers, ils connaissent bien. « Parce que je suis arabe, jeune et de banlieue, je me faisais contrôler cinq fois par jour après Charlie », soupire Elias. « Et encore, on n’a pas de barbe », enchaîne Richie qui a l’impression que « le rôle de la police n’est pas de nous protéger nous, mais de protéger les gens de nous ». (…)
(…) Tous sont nés ici. Tous sont français, pour au moins une de leurs nationalités. Mais quand Sonali évoque « son » pays, il faut comprendre le Sri Lanka, où elle n’a jamais mis les pieds. L’Angola parental, Richie non plus n’y est jamais allé. Lui se sent 100 % français. « C’est la France qui ne me sent pas français ! » A cause de sa peau noire et de sa vie de banlieusard. Il parle bien, Richie, au point de faire dire aux autres qu’il pourrait devenir maire, un jour. Dans le prochain court-métrage, il sera d’ailleurs leur candidat à la présidentielle.(…)
(…) Entre le ressenti et la réalité, finalement, est-ce que ce ne serait pas « juste un bout de papier » ? Brusquement, Khalil tranche un débat qui commence à le fatiguer. Lui a la double nationalité. France ou Algérie, personne n’a le droit de lui demander de choisir. De l’amputer d’une partie de ce qu’il est.
« La France, ce ne sont pas que les Gaulois ! », assène Kinza Huxley, l’animatrice définitivement adoptée pour son franc-parler et sa propension à raconter sa propre histoire mélangée, du passé de son père, en Algérie au FLN, au présent de son couple franco-britannique. Aux « théories fumeuses sur le grand remplacement », elle préfère les actes. Ceux qui permettent à Yoan, Jenni, Sullyvan, Bilal, Sonali, Elias, Richie et Khalil de prendre leur place. « Tu commences par leur donner un stylo, une caméra, et demain ils vont s’inscrire sur les listes électorales. »
Merci à cernunnos