ENTRETIEN L’historien Pap Ndiaye, spécialiste de l’Amérique et des minorités, analyse le vote noir et les craintes générées par « la plus grande surprise électorale de l’histoire des États-Unis ».
D’une manière générale, ce qui est à craindre, c’est un retour sur tout l’héritage des années 1960 qui a rendu l’Amérique plus ouverte, plus démocratique, plus multiculturelle. C’est en quelque sorte la vengeance du monde blanc. Et à travers la nomination de juges ultra-conservateurs à la Cour Suprême, on peut redouter la mise à mal de tout l’arsenal juridique et démocratique construit depuis un demi-siècle. C’est un vote profondément réactionnaire car il appelle à un retour en arrière.
Professeur des universités à l’Institut d’études politiques de Paris, Pap Ndiaye est spécialiste de l’histoire sociale des Etats-Unis, particulièrement celle des minorités. Il analyse les raisons de l’investiture de Donald Trump à la Maison Blanche et “les moyens d’y résister”.
De quoi l’investiture de Donald Trump est-elle le signe ?
Trump est le produit de deux histoires entrecroisées. La première, c’est l’évolution économique des Etats-Unis, marquée depuis les années 1960 par le déclassement du monde ouvrier industriel blanc américain, historiquement bien payé et fortement syndicalisé, et par l’essor d’emplois de services mal payés et précaires. Le taux de chômage officiel est relativement bas, mais il masque une réalité bien plus sombre. Les vieux Etats industriels comme le Michigan ou la Pennsylvanie, bastions du syndicalisme et du Parti démocrate, se sont tournés de justesse vers Trump, qui leur a promis le retour des bons emplois de jadis dans les usines et les mines de charbon, grâce au protectionnisme et à la dénonciation des traités commerciaux. Comme le Brexit en Grande-Bretagne, Trump est la bouée de sauvetage des naufragés du fordisme.
La deuxième histoire, synchrone avec la précédente, c’est la transformation de la société américaine : les conquêtes politiques des minorités, des femmes, les migrations hispanique et asiatique ont donné aux Etats-Unis un visage multiculturel et les ont démocratisées. […]
L’élection d’Obama en est une conséquence très éloquente, en ayant pu faire croire que les hommes blancs avaient définitivement perdu le pouvoir, d’autant plus qu’une femme prétendait lui succéder.
Des enquêtes ont montré combien est vif le ressentiment des Américains blancs pauvres des petites villes, des campagnes, à l’égard des « autres », ceux qui profitent des largesses de l’Etat. […]