Fdesouche

Tribune de Didier Fassin, professeur de sciences sociales à l’Institut d’étude avancée de Princeton, sur l’élection de Donald Trump.

Plutôt que dans la Résistible Ascension d’Arturo Ui, c’est dans Ubu roi qu’il faut chercher les clés de lecture du moment présent aux Etats-Unis. Le nouveau président est un personnage de Jarry plus encore que de Brecht.

df-4_ret_72dpi
L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a non seulement consterné une grande partie du monde intellectuel, médiatique et politique de ce pays et du reste du monde, mais elle l’a désemparée. A l’indignation s’est ajoutée l’incompréhension. Pour décrypter l’événement, la plupart des commentateurs ont cherché à analyser le vote, c’est-à-dire à la fois le profil et les motivations de l’électorat du nouveau président. On a ainsi tantôt privilégié la dimension économique et sociale, en mettant en avant la frustration des milieux ouvriers blancs déclassés de la «Rust Belt» victimes de la désindustrialisation et de la mondialisation, tantôt invoqué la dimension culturelle et raciale, en soulignant le ressentiment de la population conservatrice du Midwest et du Sud à l’égard de minorités incarnées par la présence d’un Afro-Américain à la Maison Blanche qui bousculaient l’ordre symbolique de la société états-unienne.

On s’est, en revanche, moins interrogé sur le phénomène politique que représente l’élection de Trump, c’est-à-dire sur ce que révèle son intronisation dans les plus hautes fonctions de son pays. D’ailleurs, le jour même de l’annonce de la victoire du candidat républicain, un processus remarquable de normalisation s’est mis en marche, la plupart des journalistes et des élus affirmant qu’il fallait respecter le choix du peuple (nonobstant les trois millions de suffrages en plus obtenus par Hillary Clinton et les plus de six millions de personnes surtout noires et pauvres privées du droit de vote) et qu’on devait laisser au nouvel élu l’occasion de faire ses preuves (comme si son statut faisait de lui un autre homme que celui qu’on avait connu comme candidat). Le personnage infréquentable duquel on se gaussait hier était soudain devenu un homme respectable. […]

Libération

Fdesouche sur les réseaux sociaux