L’ancrage électoral des catégories socioprofessionnelles dépasse le traditionnel clivage gauche-droite, selon Martial Foucault, le directeur du Cevipof.
Les études de sociologie électorale avaient établi, depuis près de soixante-dix ans, que le vote de classe se caractérisait par un clivage politique marqué où les classes populaires portaient leur choix sur un candidat de gauche et les classes privilégiées sur un candidat de droite. En 1944, le sociologue américain, Paul Lazarsfeld, écrivait que « les caractéristiques sociales déterminent les caractéristiques politiques ». Aujourd’hui, le vote de classe n’a pas totalement disparu, mais il s’est profondément transformé. Les différentes catégories socioprofessionnelles ont un rapport à l’économique moins conflictuel et plusieurs partis politiques se sont éloignés du programme qui les rattachait à leur électorat naturel.
En dépit d’un niveau élevé d’abstention (51 %), un tiers des agriculteurs semblent être séduits par la candidate frontiste et seuls 20 % choisissent M. Fillon. Finalement, c’est parmi les retraités (un électeur sur trois) que le candidat Les Républicains réalise ses meilleurs scores : ils sont 28 % à le soutenir.
Répartition des intentions de vote au premier tour de la présidentielle selon la catégorie socioprofessionnelle (enquête Cevipof).
Pour répondre avec exactitude, il est important de distinguer l’effet de composition (sur cent ouvriers, y a-t-il une majorité d’entre eux qui s’expriment pour le Front national ?) et l’effet de structure (parmi cent électeurs de Benoît Hamon, combien sont ouvriers ?).
Prenons l’effet de composition. En février 2017, si l’on tient compte de l’ensemble des ouvriers inscrits sur listes électorales, 42 % d’entre eux envisagent de ne pas voter, contre 39 % pour les employés et 34 % pour les cadres et professions intellectuelles supérieures. Ainsi parmi 100 ouvriers, 42 d’entre eux sont des abstentionnistes potentiels, 25 voteraient Marine Le Pen, 10 choisiraient Emmanuel Macron, 8 Jean-Luc Mélenchon et 7 Benoît Hamon.
Le premier parti des ouvriers est donc l’abstention, loin devant le FN. Mais parmi les ouvriers certains d’aller voter (58 %), ils sont 44 % à exprimer un vote frontiste, 16 % à soutenir le candidat d’En marche !, 14 % le leader de La France insoumise et 12 % le récent vainqueur de la primaire socialiste. Au total, le vote de classe incarné par les ouvriers s’est entièrement éloigné des gauches puisque l’ensemble des candidats positionnés à gauche (Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon, Yannick Jadot) ne recueillent que 16 % du total du vote des ouvriers et 28 % du vote de ceux qui sont certains d’aller voter. […]