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Tribune de Bernard Debarbieux, professeur à la faculté des sciences de la société et de l’université de Genève, sur l’identité.

Depuis quelque temps déjà, le débat public français se cristallise beaucoup, peut-être trop, sur la question des identités. Identité nationale par-ci, chrétienne par-là : les sensibilités souverainistes et conservatrices font leur miel d’une invocation lancinante de quelques formules sans appel. Certains même – «les identitaires» autoproclamés – font de la notion un étendard, pour mieux distiller dans le débat des idées délétères. En face, il est devenu de bon ton, chez ceux qui s’efforcent de résister à la vague, de condamner toute invocation publique de l’identité, sacrifiant la notion sur l’autel d’un débat politique qui excelle dans les clivages sémantiques. […]

il convient de montrer et de rappeler aussi souvent que nécessaire les deux choses suivantes.

L’identité n’existe pas en soi, elle n’est pas figée mais un processus. En lui retirant son caractère mouvant, on la réduit à une notion excluante, voire stigmatisante.

; autrement dit, l’identité a plus à voir avec des notions comme l’amour, la douleur ou la compassion, toujours subjectifs, jamais objectivables. Dans un temps où les appartenances ne dérivent plus automatiquement d’un ordre social préexistant, toute proposition visant à assigner des individus à des identités spécifiques s’apparente à une violence symbolique illégitime.
Ensuite, faire société exige de faire place à toutes ces formes d’identification tout en veillant à leur coexistence au sein d’un «tout» nécessaire. Faute de quoi, les revendications identitaires deviennent excluantes et un ferment de décomposition sociale et politique. Toute stigmatisation sur des bases confessionnelles, sexuelles, ethniques ou autres, participe de la négation même du vivre ensemble nécessaire à la dynamique vitale de recomposition de nos sociétés.

Ne laissons pas l’identité aux identitaires ; ne laissons pas les dynamiques identitaires de recomposition sociale être dévoyées par ceux qui, par micros et tribunes interposés, veulent nous imposer quelques identités toutes faites, indurées par la vertu de la propagande. L’assignation identitaire, la face noire de la rhétorique du même nom, sera toujours gagnante si on ne lui oppose pas, avec détermination, une alternative, ouverte et émancipatrice.

Libération

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