Reportage de Laurie Moniez , correspondant du Monde à Denain (Nord), sur la difficile cohabitation de la population avec les Roms. Aux élections régionales, Marine Le Pen était arrivée en tête à Denain avec 47,68 % au premier tour.
Depuis 2014, le sentiment d’insécurité s’est ajouté à la misère. La députée et maire socialiste Anne-Lise Dufour-Tonini estime à un millier le nombre de Roms installés parmi les 20 500 habitants. Le fichage ethnique étant interdit, ce chiffre se base sur les recoupements des services de la ville.
A Denain (Nord), le facteur du centre-ville est un véritable baromètre des humeurs ambiantes. Il faut dire qu’Olivier Tavernier discute avec tout le monde. Dès qu’il croise quelqu’un, il lance un sonore « salut, chef !». Aujourd’hui, le facteur sent monter les tensions. «Les seniors me racontent combien ils ont peur. Des fois, quand vous êtes dans les corons, les Roms sautent sur vous. » Ce n’est pas méchant, dit-il. Lui, ça le ferait plutôt sourire. Mais son collègue n’a plus envie de rire. Agressé sur sa tournée, ce grand gaillard de 1,90 mètre, aux allures de rugbyman, est en arrêt-maladie. «Un sacré coup au moral, soupire Olivier Tavernier. C’est vrai qu’on n’arrive pas à dialoguer avec les Roms. On a toujours l’impression qu’il va y avoir un conflit.»
A écouter une partie des élus et des habitants, l’ancienne capitale nationale de la fonte et de l’acier serait sur le point d’imploser. Après avoir prospéré, la commune ouvrière s’est retrouvée à genoux à la suite de la fermeture de l’usine sidérurgique Usinor, dans les années 1980. Denain est passée de 30 000 à 18 000 habitants entre les années 1970 et les années 1980. Le tissu urbain s’est dégradé. Depuis, tous les voyants sont au rouge : un taux de pauvreté à 42,6 %, un taux de chômage des 18-25 ans à près de 60 %, un revenu moyen annuel à 6 700 euros et une espérance de vie nettement plus faible que la moyenne nationale, selon la maire. […]
Ici, pas de bidonvilles, pourtant. Le prix des maisons a tellement chuté depuis le départ de l’industrie métallurgique qu’Anne-Lise Dufour-Tonini annonce détenir un autre triste record : le prix de l’immobilier le plus bas de France. La mairie a préempté pour 20 millions d’euros, mais cela n’a pas suffi. Des marchands de sommeil, essentiellement venus de Seine-Saint-Denis et de Roubaix, selon la députée-maire, ont racheté des pans de rues entiers. Des logements privés ont été bradés 30 000 euros et loués à des Roms. […]
Souvent, de violentes bagarres entre Roms éclatent sans qu’il y ait de dépôt de plainte. « Un type s’est pris un coup de hache dans le dos, pas loin de l’école maternelle Victor-Hugo», raconte Corinne Laisne, une habitante, qui laisse désormais une batte de base-ball derrière sa porte d’entrée. Devant Anne-Lise Dufour-Tonini, à qui elle claque la bise, elle confie : « Je suis calme, mais je suis prête à glisser un bulletin de vote FN la prochaine fois. »
Bénédicte Cayez n’ira pas jusque-là. Malgré la peur. […]
Merci à Athéthique