Que feriez-vous si Marine Le Pen était élue présidente ? Le texte proposé par l’écrivaine Leïla Slimani, prix Goncourt 2016, sera poursuivi, semaine après semaine, par un membre de l’équipe des «agitateurs» réunis par «Libération» pour suivre la présidentielle. Leïla Slimani est née à Rabat au Maroc, d’une mère franco-algérienne et d’un père marocain, Othman Slimani, banquier et haut-fonctionnaire.
Depuis quelques semaines, on s’est mis à jouer à un drôle de jeu. Un jeu sans dés, ni cartes. Un jeu sans véritables règles, où il n’y a pas de gagnant et pas de vrai suspense. Ça revient sur la table, à la fin d’un dîner, au milieu d’une conversation de travail, sur la terrasse d’un café. Ça commence toujours de la même façon. Quelqu’un vous demande : «Et toi, tu ferais quoi si Marine Le Pen était élue ?» On se regarde comme on se regardait enfants, au bord du précipice, quand la mer s’agitait, cinq mètres plus bas et qu’il fallait plonger. On était morts de peur mais gonflés d’orgueil et de témérité. […]
A Munich, mon éditrice allemande s’intéresse aux élections françaises. Elle me pose des questions, la tête penchée sur le côté, comme si elle demandait des nouvelles d’un parent très malade. Est-ce que je pourrais vivre dans un pays qui appliquerait la préférence nationale ? Est-ce que je serais capable d’expliquer à mes enfants que dans la France d’avant, les étrangers pouvaient se faire soigner gratuitement et scolariser leurs enfants ? […]
On joue parce qu’on vit dans une France essorée par la crise et la corruption, où les idées de Le Pen ne font plus scandale. Hier, on m’a tendu un tract de François Fillon et c’était à s’y méprendre. «Construire des places de prison, expulser les étrangers !» Depuis quinze ans, sous prétexte d’entendre le malaise des électeurs du FN, ses concurrents ont pêché par cynisme et par paresse. A force de se positionner sur ses thèmes, d’emprunter son vocabulaire, ils ont nourri la machine du déclinisme et de la défiance. […]