Après Donald Trump et le Brexit, à quelques jours d’une élection aux Pays-Bas et à quelques mois de l’élection présidentielle française, Chantal Delsol fait le point pour FigaroVox sur la situation des partis « populistes » en France et dans le monde.
Membre de l’Institut, fondatrice de l’Institut Hannah Arendt, Chantal Delsol est philosophe et historienne des idées. Elle a dernièrement publié Le Populisme et les Demeurés de l’Histoire (éd. Le Rocher, 2015) et La haine du monde. Totalitarismes et postmodernité (éd. Cerf, 2016).
Les élites ont aimé le peuple tant qu’il défendait le socialisme universel, mais dès qu’il a commencé à défendre ses territoires et ses communautés intermédiaires, elles ont commencé à l’injurier.
Il faut dire aussi que ces courants tellement détestés n’ont pas d’élite intellectuelle, forcément, puisqu’il entraînent tout ce qu’ils touchent dans leur ostracisme – un universitaire qui suivrait Marine Le Pen perdrait aussitôt son statut, son groupe de recherche, ses éditeurs, et cesserait par conséquent d’être universitaire.
Le statut de ces courants [populistes] est très étrange: à la fois on n’a pas eu d’arguments pour les interdire légalement (les démocraties sont tout à fait fondées à interdire des mouvements anti-démocratiques, nazis ou communistes par exemple), et à la fois on les décrie avec tant de force qu’ils n’ont pas droit à un statut de partenaire démocratique: celui avec lequel on débat. Le but du débat démocratique se porte uniquement sur leur exclusion, de façon parfois tout à fait hystérique. Mais on ne dit pas exactement pourquoi, on se contente de les assimiler aux «pages les plus sombres de notre histoire»! Je suis persuadée qu’il y a derrière cette honteuse partie de cache-cache, des raisons inavouées. Essentiellement, le fait que ces courants sont attachés à des enracinements (patrie, famille) que détestent les élites universalistes et cosmopolites qui gouvernent en Occident.
Le terme «populisme» est, en tous les cas, de plus en plus répandu dans la presse. Est-ce un terme toujours aussi péjoratif, ou est-il en train de devenir banal ?
Tant que personne ne se saisira du terme populiste pour son propre compte, tant que personne ne dira «je suis un populiste», le terme restera une injure. Car il n’est utilisé que par ceux qui s’en servent pour vilipender. Il est possible que le terme change de destination dans les prochaines années, car le sens des mots évolue. Mais pour l’instant il évoque une relation vénéneuse avec le peuple dont on utilise les émotions et les mauvais penchants – le peuple, depuis qu’il n’est plus de gauche, n’a plus que des émotions et des mauvais penchants. On a même inventé pour cela tout une grammaire assez honteuse, comme «la post-vérité». […]
Vous dites que la haine du populiste et le mépris de classe sont intimement liés. Pourquoi ?
Il s’est produit une transformation importante depuis une trentaine d’années. Jusqu’à la chute du mur de Berlin, ce qu’on appelle le «peuple», c’est à dire les catégories à revenu le plus modeste, était largement de gauche, parce que toujours, mais de moins en moins, attiré par l’espoir communiste et socialiste. A partir du tournant du siècle les choses se sont peu à peu renversées. Déçu par la chute du communisme et les échecs de la gauche au pouvoir, cette France modeste a peu à peu basculée vers la droite et notamment la droite extrême. Ce qui n’est pas tellement étonnant, car au fond, plus les gens sont modestes, plus ils sont attachés à leurs enracinements – et cela a toujours été l’un des paradoxes du socialisme, de prétendre attacher à l’universalisme des classes qui profondément le récusent. A présent nous avons par exemple toute cette France dite «des périphéries», vivant dans des petites villes devenues des déserts, voyant que leurs élites ne s’intéressent qu’à ce qui se passe à Bruxelles ou à Berlin, et qui de ce fait passent naturellement à droite et à l’extrême-droite, par défense de l’enracinement. […]