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A l’occasion de la sortie de son livre Syrie, une guerre pour rien, Frédéric Pichon a accordé un entretien fleuve à FigaroVox. Pour lui, la guerre en Syrie est une catastrophe globale dont les grandes puissances occidentales sont en partie responsables.

Frédéric Pichon est géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient. Auteur d’une thèse de doctorat sur la Syrie et chercheur associé à l’Université de Tours, il est l’auteur de “Syrie, une guerre pour rien” (éd. du Cerf, 2017)

Dans un chapitre, je pose la question suivante: la France est-elle une puissance sunnite? La dernière note du CAPS [ Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie du Ministère des Affaires Etrangères], proprement ahurissante, révélée par votre journal semble répondre favorablement à cette question : Paris doit être le protecteur des intérêts des pays du Golfe face à l’émergence iranienne. L’équilibre doit être recherché en toutes choses, c’est l’apanage des nations libres.


[…] Vous écrivez que le conflit syrien interroge les pays européens, et notamment la France, sur leur politique intérieure. Quel rapport peut-il y a-t-il entre cette lointaine guerre et ce qui ses passe sur notre sol ?

En bon lecteur de Philippe Muray, découvert à la fin des années 1990, je me suis remémoré cet aphorisme glaçant de vérité et d’une cruauté jubilatoire, dans un texte intitulé «Chers djihadistes»: «Nous vaincrons parce que nous sommes les plus morts». J’ai voulu m’intéresser aussi dans ce livre à ce que le conflit syrien signifiait aussi pour nos sociétés occidentales, parce qu’à travers la violence terroriste et la masse des départs pour le «Cham», ce sont les questions du tragique, de la mort et du sacré qui ont ressurgi. Diplomatie, islam, immigration: il a fallu la Syrie pour que ces questions, enfouies et cloisonnées, reviennent sur le devant de la scène. Je les aborde largement. Il ne s’agit pas d’un appel à la croisade, ni même d’une dénonciation mais d’un essai d’intelligibilité du phénomène.

Tout se passe comme si les sociétés occidentales ne pouvaient pas penser le djihadisme en dehors du registre de la psychiatrie. Face à la violence, notre société ne veut voir que la marginalité. Le djihadisme serait ainsi un sous produit de la délinquance, de la frustration, voire une forme de folie.

Ce refus de prendre au mot les djihadistes signe le vide abyssal des réponses à ce phénomène mondial et nous empêche de voir que notre post modernité, liquidatrice du sacré, du tragique et donc de la mort alimente en retour cette expansion. L’incapacité à penser la dimension religieuse du phénomène en l’évacuant ou en la minorant a ceci de tragique qu’elle s’accompagne simultanément d’un discours normatif sur la religion musulmane, à l’aune de nos valeurs post modernes.

Dans la peur panique qui suit chaque attentat en France, il est une priorité: déclarer que ces actes «n’ont rien à voir avec l’islam». En niant la singularité de l’engagement des djihadistes, il s’agit d’en faire des produits de la modernité.

Des hommes ordinaires en somme, aussi dépravés que nous. Ainsi la violence ne peut être que marginale, le fait de «loups solitaires», parce qu’il est impensable que l’Autre ne puisse adhérer à notre système de valeurs dont le cœur est précisément la relativité de toute valeur! Si tout se vaut, si rien ne compte, si l’avenir radieux de l’humanité se limite à une fusion dans le grand tout consumériste et cool, alors quand le «barbare» fait irruption, y compris en notre sein, nous sommes incapables de le nommer. Nommer l’ennemi c’est précisément définir ce qui nous distingue, ce qui nous discrimine, c’est tracer une frontière, une limite même normative, c’est s’affirmer contre, toutes choses auxquelles la culture contemporaine a décidé de renoncer… […]

Le Figaro

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