Dans le pays du « plus jamais » les musulmans cultivent à nouveau l’antisémitisme. L’Allemagne tente de dissimuler le phénomène.
Bassam Tibi est allemand, né à Damas (Syrie) en 1944. Il fut professeur en relations internationales à l’université de Göttingen. Il intervient dans une tribune libre dans la Basler Zeitung du 13 mars 2017, faisant suite à une première intervention l’été dernier dans le même quotidien suisse.
Dans une interview du 7 juillet dernier, j’évoquais la partie de ma vie passée à Damas durant laquelle j’avais relevé comment les citoyens du Proche-Orient grandissaient dans une culture politique de la haine du juif. Les migrants qui viennent de ces régions en Europe, apportent avec eux cette culture anti-occident et anti-juif.
Prenons cette problématique qui concerne toute l’Europe, sous l’angle de l’Allemagne et son histoire honteuse envers les juifs, et ce que les gens en on retenu depuis et en retirent aujourd’hui encore. Fort de cette vision, la réalité est que l’Allemagne, malgré son passé, se présente à d’autres en tant que moralisatrice, mais dans le même temps assure la protection de réfugiés islamistes antisémites.
Je voudrais commencer par un juif allemand qui a fui la dictature Hitler en 1933 pour se réfugier aux USA, où il a demeuré pour moi jusqu’à sa mort, un ami et un mentor. Il s’agit du grand sociologue Reinhard Bendix, qui est né à Berlin et qui a enseigné à Berkeley jusqu’à sa mort. Il est aussi l’auteur du drame familial juif « De Berlin à Berkeley . Identités allemand et juive ». Après la réunification allemande, il s’était ouvert à moi du souci : que feraient les allemands s’ils redevenaient puissants.
Récemment, Bendix s’est rappelé à mon souvenir lorsque j’ai vu comment le ministre des affaires étrangères d’Allemagne en déplacement à Washington faisait la leçon aux américains concernant la liberté religieuse. L’individu en question, Sigmar Gabriel, ne manque pas seulement de charisme, mais il manque totalement de compétence en politique extérieure. Ce qui ne l’empêche pas de se comporter comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, lorsqu’à l’administration Trump, il enseigne le respect de l’islam et le respect de la liberté religieuse. Tout aussi instructive, la ministre de la défense lors de la conférence sur la sécurité à Munich qui pointait l’Amérique islamophobe.
DE L’IDOLARTRIE DE SOI-MEME AU NARCISSISME COLLECTIF
En tant qu’étranger vivant en Allemagne, j’aimerais clarifier ce point : les Allemands n’ont aucune légitimité pour donner ce genre de leçon. Dans la bouche de ces politiciens, je reconnais ce que mon vieil enseignant juif expliquait « à la question qu’est-ce qui est allemand ? Obtenir la réponse l’idolâtrie de soi-même et narcissisme collectif ». En lieu et place de cela, la situation actuelle exige une éthique responsable dans la question des liens avec les juifs et les musulmans qui vivent en Allemagne. Donner des leçons à la terre entière ne mène nulle part.
Les politiciens allemands qui veulent préserver la planète de l’islamophobie négligent délibérément de voir avec quelle impunité l’antisémitisme se développe au sein de la communauté musulmane. Pendant la guerre de Gaza de 2014, on a dénombre 1596 actes antisémites de la part de musulmans. Dans ce même laps de temps, aucun juif n’a fait quoi que ce soit à un arabe. Et comme réagit la bien-pensance politique à cela ? Le journal Zeit du 9 février 2017 écrit : « les actes antisémites commis par des migrants sont enregistrés comme délits motivés politiquement dans des bases de criminalité de la part d’étranger et n’apparaissent donc jamais dans les statistiques d’actes antisémites ». Un an plus-tôt, Spiegel évoquait « la multiplication des agressions contre les juifs » en précisant « que ces actes n’étaient pas enregistrés ». Pourquoi ?
La réponse est claire : parce que les auteurs sont des arabes et non des nazis allemands. Un juge allemand avait d’ailleurs libéré un auteur antisémite en motivant sa décision : « les auteurs voulaient attirer l’attention sur le conflit à Gaza ». J’ajouterais : cela n’est pas ce que les allemands aiment appeler des cas isolés, mais il s’agit d’une règle dans l’Allemagne d’aujourd’hui. L’antisémitisme arabe n’est pas seulement couvert, mais il n’est jamais saisi en tant que tel dans des statistiques, ni jamais poursuivi. Je demande de façon provocante : est-ce que les allemands ont oublié leurs crimes contre les juifs ?
LA CRAINTE DES ALLEMANDS
En tant que musulman et en tant que migrant vivant en Allemagne, je n’ai pas seulement peur des islamistes radicaux, mais j’ai aussi peur de ces allemands, qui ont l’art et la manière d’aborder leur passé criminel de façon maladive. Dans mon livre « Islamisme et islam » rédigé entre 2007 et 2010 à l’Institut de recherche du Musée Mémorial de l’Holocauste à Washington et achevé en 2012 à Yale, j’évoque les 6 piliers de l’idéologie islamiste et plus particulièrement l’antisémitisme islamisé. J’arrive à la conclusion que l’islamisme est le nouveau totalitarisme antisémite du 21ème siècle. Comment les allemands abordent-ils ce danger ? Quels enseignements ont-ils retirés d’Auschwitz ?
Mon autorité en la matière est Adorno (évoqué plus haut) avec son travail « Eduquer après Auschwitz ». Pour Adorno, Auschwitz était une barbarie qui reste : « ce danger demeure aussi longtemps que les conditions sont réunies pour qu’il se reproduise ». Quelles sont ces conditions ? Toujours selon Adorno « le plus grand danger d’une répétition réside dans l’aveuglément collectif ».
Les juifs de Berlin ne sont pas seulement considérés comme communauté, mais c’est justement aussi en tant que communauté qu’on les rend responsables des actes de juifs vivants qui devraient être condamnés collectivement. Ce raisonnement est celui des allemands qui justifient ainsi les crimes antisémites arabes. La condamnation des juifs s’ensuit par la diaspora arabo-musulmane à Berlin et d’autres villes allemandes. Tous les actes antisémites seront effectivement enregistrés dans un fichier de la criminalité commise par des étrangers et jamais en tant que crimes antisémites, ce qu’ils sont effectivement dans la réalité.
Autre question : comment les allemands réparent-ils la mort de 6 millions de juifs ? Pour un observateur extérieur comme moi, la culture de bienvenue (refugees welcome) allemande est incompréhensible, elle n’est pas du tout compréhensible. Elle m’amène à me demander quelles en sont les causes. Le journal Zeit du 28 janvier 2016 titrait « les allemands sont-ils fous, ou serait-ce plutôt le reste du monde qui n’accueille aucun réfugié ? »d’où la réponse : « en voulant se libérer d’un passé traumatisant, les allemands ont plongé dans une culture de bienvenue complètement irrationnelle : pour faire court d’Auschwitz directement à la gare centrale de Munich ». Entre septembre et décembre 2015, des milliers d’allemands contaminés par la folie de culture de bienvenue, accueillaient des musulmans du Proche-Orient, Asie centrale ou Afrique du Nord : ils faisaient cela non pour raisons humanitaires, mais pour réparer la mort de 6 millions de juifs. De fait, en agissant de la sorte, ils ignoraient, ou plutôt ils ne voulaient pas savoir qu’ils pratiquaient une culture de bienvenue antisémite.
Constater l’antisémitisme musulman n’est pas un préjugé, mais le résultat d’une étude dans 22 pays islamiques, que j’ai publiée aux Etats-Unis. Sur cette base, je peux confirmer ce que relève le journal Zeit du 9 février 2017 : il y a une raison à « considérer le danger que posent des centaines de milliers de réfugiés arabes ». Pourquoi ? « parce qu’ils sont originaires de pays où l’antisémitisme est aussi naturel que boire ou manger ».
UNE POLITIQUE MORALE
J’en viens un autre sujet : les partis de la gauche allemande et leurs rapports à l’holocauste. Selon les critères de la gauche, l’Etat démocratique devrait se définir de manière significative sur l’effondrement de la civilisation sur la conclusion « plus jamais ! ». C’est le phénomène d’une « politique morale ». De fait, les écologistes se voient comme éducateurs et correcteurs de la société.
Mais alors, comment réagissent ces mêmes écologistes dans leur rôle d’éducateurs et correcteurs, face à un antisémitisme qui ne provient pas de vieux nazis, mais de camps de réfugiés ? Depuis 2015, les moralisateurs Verts apparaissent moins comme le parti du « plus jamais ! » que comme avocats de réfugiés islamistes.
Le fait est que les réfugiés du Proche-Orient ramènent l’antisémitisme de leur région. Les écolos et gens de gauche sont assez courageux pour exiger des excuses à l’antisémitisme islamiste. Cette excuse est alors formulée ainsi : « ces musulmans n’ont rien contre les juifs, mais seulement contre l’Etat d’Israël et contre le racisme sioniste ». Si cela était vrai, Theodor Herzl aurait été raciste, ce qu’il n’a jamais été. Il n’y a pas de différenciation entre antisémitisme et antisionisme. Au travers de mes travaux, j’ai pu vérifier que les arabes ne faisaient aucune différence entre Jahudi/Juif et Sahyuni/Sioniste.
UNE DECLARATION INQUIETANTE
Le chercher spécialiste de l’antisémitisme, né à Vienne et vivant aujourd’hui à Jérusalem, Manfred Gerstenfeld, a établi de manière certaine l’antisémitisme agressif parmi les migrants musulmans, au point de faire cette déclaration inquiétante : « au 21ème siècle, tous les meurtres de juifs en Europe, tués parce que juifs, furent commis par des musulmans ».
En octobre dernier, j’intervenais à l’Académie de Bonn en évoquant plusieurs points contenus dans le présent article, pour terminer par la question ces gens-là sont les « nouveaux allemands ». Aussitôt, une autre intervenante , Marina Münkler, auteur d’un ouvrage qui s’appelle justement « les nouveaux allemands » me fit cette réponse « Monsieur Tibi, vous stéréotypez les réfugiés ! ». Intéressant pour un syrien de s’entendre reprocher par une allemande qu’il fait des stéréotypes, lorsqu’il s’inquiète de la culture de l’antisémitisme politique qui est ainsi apporté en Europe.
Le plus grand historien juif du 20ème siècle, Bernard Lewis, nous dit dans son essai « The New Antisemitism » : « un antisémitisme identique au style européen grandit dans le monde arabe […] Il s’agit du nouvel antisémitisme arabe qui prospère […] Ce nouvel antisémitisme n’a rien à voir avec le conflit palestinien ». Je suggère à tous ceux qui prétendent que l’antisémitisme arabe est uniquement l’expression d’un colère contre Israël, à reprendre l’essai de Lewis.
LE NOUVEL ANTISEMITISME
Le journaliste anglais Daniel Johnson a lui aussi évoqué cette problématique sans son article paru dans le Wall Street Journal du 1er novembre 2016. D’emblée, il sépare 2 phénomènes émergeants en Europe : l’antisémitisme de plus en plus visible (increasingly visible Antisemitism) et la croissance de la population musulmane en Europe (Europe’s rapidly growing Muslim population»). Ensuite, il établit le lien entre les 2 phénomènes, en l’occurrence l’augmentation de l’antisémitisme et la croissance de la communauté musulmane.
Je ne suis vraiment pas un amateur de Donald Trump, mais j’aimerais conclure sur cette observation. Les politiciens allemands qui se rendent à Washington perdent toute mesure et donnent des leçons magistrales à l’administration Trump concernant les dangers de l’islamophobie ; toutefois, ils oublient soigneusement que l’antisémitisme islamiste fleurit dans leur pays. Ces politiciens prétendent défendre les musulmans en tant que minorité. Et qui défend l’individu juif face à la communauté musulmane ? Et qu’ont appris les allemands de leur histoire ? Qu’en était-il déjà de l’expression « plus jamais ! » ?
(Merci à Catho Alsace pour la traduction)