Gérard Courtois, éditorialiste au « Monde », craint que l’élection présidentielle “ne tourne pas au théâtre de l’absurde” faute de campagne.
De semaine en semaine, on l’attend, on l’annonce, on l’espère. La campagne présidentielle va démarrer, s’enclencher, s’emballer. Elle va enfin permettre aux Français de prendre la mesure des candidats, de comparer personnalités et projets, de jauger, de juger et de mûrir leur décision. Mais, de jour en jour, ce moment semble différé, reporté, comme esquivé. […]
L’ahurissant feuilleton de l’affaire Fillon, bien sûr, dont les rebondissements politiques et judiciaires incessants, ont polarisé l’attention depuis six semaines. Il est possible que le candidat des Républicains réchappe de cette tempête. […]
L’autre facteur qui affole et détraque cette campagne résulte de la position de favorite – du premier tour – occupée depuis des semaines par la candidate du Front national (FN). Inutile, sur ce point, de se défouler sur les sondages. Ceux-ci ne font que confirmer la progression spectaculaire du parti d’extrême droite depuis que Marine Le Pen en a pris les rênes ; les résultats de toutes les élections locales ou européennes depuis quatre ans l’attestent.
Même si elle ne préjuge en rien du résultat final, la présidente du FN ne paraissant pas, à ce stade, capable de l’emporter, cette situation brouille les cartes de façon totalement inédite. […]
Il reste peu de temps pour sortir de ce maelström. Les initiatives des uns et des autres peuvent y contribuer : Emmanuel Macron a présenté son projet le 2 mars, François Fillon le sien le 13, et Benoît Hamon s’apprête à faire de même le 16, avant de rassembler ses partisans à Bercy trois jours plus tard. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il prépare activement sa grande « Marche pour la VIe République », le 18. Mais c’est le débat télévisé entre les cinq principaux candidats (une première), organisé lundi 20 mars, qui devrait ouvrir un véritable débat.
Faute de quoi l’on peut craindre que les Français se déterminent de façon erratique et irrationnelle. Dans la pièce de Beckett, Godot que l’on attend n’arrive jamais. Il reste quarante jours avant le premier tour de scrutin pour que cette élection ne tourne pas au théâtre de l’absurde.