Tribune d’Anaëlle Lebovits-Quenehen, psychanalyste, membre de l’Ecole de la cause freudienne de l’Association mondiale de psychanalyse, directrice de la publication de la revue “Le Diable probablement”.
Si le Front national n’a pas encore accédé au pouvoir, il nous impose ses thèmes de campagne. Que Marine Le Pen entre ou non à l’Elysée en mai, elle est déjà au pouvoir. Le combat a commencé.
Lacan a pu dire que «le maître de demain, c’est dès aujourd’hui qu’il gouverne». Le Front national (FN), ce n’est pas pour demain. Il est, d’une certaine manière, déjà là. Il l’est d’abord sous les espèces de nos calculs pour l’empêcher de nous gouverner. Mais cela fait à présent plus de quinze ans que ses idées se diffusent et gouvernent progressivement. Et pas seulement hélas chez les seuls soutiens officiels que compte le FN – qui croissent et se multiplient par ailleurs. […]
Le FN nous gouverne déjà sous les espèces de cette folie qui veut que le seul candidat à la présidentielle dont on ait vraiment l’idée qu’il incarne sa ligne politique soit Marine Le Pen, tandis que les autres semblent vouloir rester inaudibles. […]
Le FN est là sous les espèces de l’oubli : un grand nombre de nos concitoyens s’apprêtent à voter pour un parti d’extrême droite. Je pense à ceux de mon âge et dont les grands-parents s’étaient déjà, nécessairement, affrontés à cette question en leur temps. Il faut trois générations pour qu’une «forclusion», c’est-à-dire un refoulement total, s’accomplisse, notait encore Lacan. La forclusion est le nom de cet oubli-là quand les derniers témoins du régime de Vichy, de l’Occupation allemande et des camps de concentration et d’extermination s’éteignent et, avec eux, cette mémoire. Entend-on assez que Marine Le Pen a dansé la valse à Vienne chez les néonazis en 2012 ? On l’a su, oui. Et on l’oublie. […]
Si le pire n’est jamais sûr, l’instant de voir peut pourtant déboucher sur un moment de conclure en forme de dépression. C’en est éventuellement la première réponse. Mais nulle fatalité à ce que le gai savoir ne reprenne ses droits. Certes, les temps sont obscurs. Certes, le parfum périmé et moisi qui se répand depuis un moment déjà est insoutenable, et l’angoisse au rendez-vous. C’est le signe que notre désir est convoqué pour le pire et pour le meilleur. Car la lumière accompagne l’ombre comme la jeunesse la fleur. Il est plus que probable qu’une livre de chair soit désormais requise pour être citoyen d’une démocratie – et ce, que Marine Le Pen passe cette fois-ci ou pas. L’engagement de corps nous attend.
2022 : le FN au pouvoir. Son sous-titre, « Chroniques de l impensable », épingle le
réel que cette éventualité emporte.
Pour l’aborder, trois rubriques :
une rubrique de politique-fiction qui nous donne un avant-goût de la Chose, si elle advenait.
Après le retour vers le futur tenté par Michel Houellebecq l année dernière, et Boualem Sansal cet automne, le Diable s y colle, autrement. Le pire n est jamais sûr, pourtant. Il ne s agit donc pas de jouer ici les Nostradamus ou moins glamour si possible les Cassandre, de s y faire, en un mot,
les chantres de lendemains qui déchantent, mais de prendre au sérieux ce risque car c’en est un qui sonne le glas de la fin de l histoire en Europe occidentale.