Sous le pseudonyme de Victor Juin, un ancien ambassadeur de France à Tokyo répond à Thierry Dana, ambassadeur de France au Japon, qui a publié une tribune dans Le Monde affirmant qu’il « refuserait de servir » Mme Le Pen si elle était élue présidente de la République.
En République française, tous les candidats ont droit au respect du devoir de réserve de la part des hauts fonctionnaires, fussent-ils ambassadeurs de France. Mme Le Pen comprise.
Je ne peux penser que sa démarche avait pour but de se pousser du col alors que la saison des transferts bat son plein au ministère et que chacun est à la recherche d’un nouveau poste. C’est donc nécessairement un sens moral et éthique élevé qui a poussé Thierry Dana à rendre publique l’aversion profonde que lui inspire la candidate frontiste. Diplomate soucieux de grands principes, mon collègue aurait pu se poser également – et en préalable – la question du devoir de réserve avant de s’en prendre publiquement et avec autant de violence à une candidate à l’élection présidentielle. Devoir de réserve que le ministre Jean-Marc Ayrault a rappelé à tous les agents dans un message bienvenu. Mais Thierry Dana a manifestement considéré que, dans le cas de Mme Le Pen, le devoir de réserve ne s’appliquait pas. C’est précisément cela qui est insupportable.
Je ne suis pas lepéniste ; d’ailleurs peu importent mes options politiques. Comme Thierry Dana et Gérard Araud, notre ambassadeur-tweeter en poste à Washington qui n’a pu s’empêcher de soutenir la tribune de Thierry Dana d’un gazouillis électronique, j’ai été membre d’un cabinet ministériel, ambassadeur bilatéral et ai représenté la France dans les grandes instances internationales. Tout au long de ma carrière, j’ai servi des gouvernements de toute nature et accueilli des ministres dont je ne partageais pas nécessairement les idées. J’ai plus d’une fois serré les dents et mis un mouchoir sur mon opinion personnelle afin de défendre une ligne politique au rebours de ce que je croyais bon pour le pays. Je l’ai fait sans faillir pour une raison implacable : cette ligne politique émanait d’un gouvernement élu démocratiquement par le peuple français, et il ne revenait pas à un fonctionnaire qualifié de « haut », mais en réalité lilliputien au regard du suffrage universel, de remettre en cause le choix démocratique du peuple. […]
[…] Il serait bon d’ouvrir les yeux. Est-ce la « faute » du peuple français s’il n’apprécie guère que la Commission européenne prenne des décisions qui impactent son existence sans qu’elle le consulte ? Est-ce la faute de nos compatriotes s’ils ne parviennent pas à percevoir la forte croissance économique et le plein-emploi que la création de l’euro était censée leur apporter ? […]C’est également une marque insupportable de mépris pour les millions de Français qui ont l’intention de voter pour Marine Le Pen. Le mépris, ils y sont habitués me direz-vous. Cela fait des années, des décennies pour les plus anciens convertis, que les électeurs du Front national s’entendent dire qu’ils sont au choix, des racistes, des fascistes, des malades mentaux et, dans tous les cas, de sombres abrutis.
A part le – très gros – morceau de la déconstruction de l’Union européenne, le reste de la politique étrangère de Mme Le Pen ne casserait pas trois pattes à un canard. Pas d’isolationnisme nord-coréen ou albanais ; une relation proche avec la Russie, grand classique de la diplomatie française ; une volonté d’indépendance vis-à-vis des Etats-Unis ; une sortie probable de l’OTAN ; une politique favorisant la relation entre nations plutôt qu’entre blocs. Rien de révolutionnaire. Pour paraphraser une célèbre réplique du film OSS 117, on pourrait même dire : « c’est la France du général de Gaulle, madame. » […]