L’auteur camerounais Michel Tagne Foko raconte une soirée entre Africains à Bruxelles. Chacun dénonce la situation en Afrique du Sud, oubliant que son propre pays pratique aussi les expulsions.
On m’a dit : «Michel, s’il te plaît, viens prendre un pot avec nous.» Sans hésitation, j’ai rejoint le groupe. C’était à Schaerbeek, à Bruxelles, non loin de la gare du Nord, vers 21 heures, dans un lieu où certains Africains se retrouvent pour refaire le monde autour de quelques bières et des prompts pas de danse. Entre deux bonnes bières belges s’introduit le sujet de l’immigration.
Tout a commencé par ce jeune Equato-Guinéen. Il a dit : « Vous avez vu les attaques contre les étrangers en Afrique du Sud ? C’est inadmissible ! Chez moi, ce n’est pas comme ça ! » Vient ensuite un Gabonais : « C’est horrible, c’est scandaleux !» […]
Chacun condamnait fermement ces gens d’Afrique du Sud qui chassent les étrangers. Ce qui m’intriguait était de voir comment chacun parlait de son pays comme d’un lieu où ce genre de chose n’existe pas. Chacun évitait de mal parler de son pays d’origine. Ils confondaient l’orgueil et la réalité. Ils étaient tous humanistes et les politiques de leurs pays aussi. Le monde semblait beau chez eux. J’étais estomaqué par cet abrutissement, cette ignorance. […]
Je m’explique :
— Je me suis rendu compte qu’il y avait des Camerounais qui ne savaient pas qu’au Cameroun on rapatrie les sans-papiers. Qu’ils sont arrêtés, placés en cellule, frappés quotidiennement, jusqu’à ce qu’ils trouvent un moyen de rentrer chez eux ! Ce fut le cas d’un Béninois qui me racontait son calvaire camerounais.
— Le visa pour le Ghana est l’un des plus exorbitants en Afrique. En plus, les policiers frappent les sans-papiers avant de les rapatrier.
— En Côte d’Ivoire, on rapatrie les sans-papiers, c’est un fait !
— Le Gabon, l’Angola et la Guinée équatoriale sont les champions d’Afrique centrale en matière de rapatriement ! Très souvent, ils entassent les gens dans des bateaux avant de les renvoyer.
— Etc.
Alors, que certains arrêtent de croire qu’il n’y a que chez les Européens que l’on rapatrie les gens. Les Africains aussi sont champions en la matière. L’Afrique du Sud n’est pas l’exception. Après avoir dit cela, je précise quand même, bien sûr, que je suis contre les rapatriements.