Bernard-Henri Lévy se désole de la résignation à voir le Front national accéder au deuxième tour de l’élection présidentielle. “Comment on a pu en arriver là ?”
Serait-ce trop demander, enfin, aux commentateurs que de rappeler, et rappeler encore, que le véritable enjeu d’une présidentielle n’est pas l’avènement de la transparence, de la pureté ou même d’une éthique impeccable – mais l’affrontement de deux visions distinctes de l’idée républicaine ?
Il y a quinze ans, un deuxième tour avec Le Pen c’était un séisme : aujourd’hui, c’est une évidence.
Il y a quinze ans, les forces vives de la nation étaient dans la rue pour hurler d’une même voix l’horreur de cette image d’elles-mêmes que leur renvoyait le miroir de l’extrême droite : aujourd’hui, c’est une donnée de la situation, un fait acquis, presque une nécessité, un axiome.
On dira que les situations ne sont pas comparables et que Le Pen n’est plus Le Pen […].
Il y a le calcul tout simple que font les grands candidats : la vraie assurance-victoire c’est d’éviter, au second tour, le débat forcément incertain avec le républicain de l’autre rive ; le meilleur ticket d’entrée à l’Elysée, celui qui offre la plus grande chance de l’emporter en même temps qu’un beau sacre plébiscitaire, c’est d’apparaître, comme Chirac en 2002, le meilleur rempart contre un fascisme dont on tient qu’il a très peu de chances de passer ; moyennant quoi on se dispute le misérable honneur d’une lutte finale avec Mme Le Pen.
Et puis il y a sans doute aussi un effet de structure plus global – et qui tient à la place centrale qu’a fini par occuper, en ces temps de lepénisation des esprits, le Front national « dédiabolisé » ( quelle bizarrerie, soit dit en passant, que ce vieux pays de tradition majoritairement catholique ne paraisse pas s’aviser du colossal aveu qu’est ce mot même de « dédiabolisation » : la plus grande ruse du diable, disait le catholique Charles Baudelaire, n’est-elle pas de faire croire qu’il n’existe pas, ou qu’il se serait dissous et, à la lettre, dédiabolisé ?). […]