Marie-Hélène Brousse, psychanalyste et enseignante à Paris-VIII, analyse dans une tribune au « Monde » les ressorts du “discours d’extrême droite : la peur et la haine de la démocratie”.
Oui, le Front dit national veut dans un premier temps gagner les élections pour, dans un deuxième, confisquer à la France ses institutions républicaines afin de les remplacer par « l’Etat français » de sinistre mémoire ou un autre signifiant antirépublicain.
[…] Il existe une profonde affinité entre l’extrême droite et le djihadisme. Les deux s’offrent d’ailleurs actuellement comme solutions à une jeunesse désorientée. Conversion à l’Islam et addiction aux drogues dans les banlieues ; adhésion au FN dans les calmes campagnes françaises. La fin du système hitlérien dans une apocalypse où le peuple à abattre après le peuple juif était devenu le peuple allemand lui-même montre assez que la haine de l’autre couvre la haine de soi.
Depuis cinquante ans, le père, puis la fille, puis la petite fille, puis leurs cohortes, et maintenant la masse innombrable de leurs électeurs, déploient sans relâche une argumentation fondée sur la spoliation éhontée des signifiants nationaux
Ils s’emparent, pour s’en parer, des richesses du patrimoine emblématique commun au peuple français. Dans le bleu-blanc-rouge, les filles Le Pen se taillent une garde-robe de discours pour parader à la télévision et dans les meetings. Le drapeau, elles en drapent pour les masquer leurs appels fiévreux à la guerre civile. La nation, elles la kidnappent et l’enferment à double tour dans leur cambuse, et promènent à sa place un sosie monstrueux.
Les héros de l’Histoire, de Jeanne d’Arc au Général de Gaulle, elles les raflent pour les enrôler dans leurs troupes d’assaut idéologique. La langue, les mots, jusqu’au nom même de Français, elles se les accaparent. « Le long manteau d’églises et de cathédrales qui recouvre notre pays » (Henri Guaino lu par Nicolas Sarkozy) devient entre leurs mains une guenille, le cache-misère d’une pensée indigente, le cache-haine d’un discours fielleux de « révolution conservatrice ». […]
Prenons notre exemple dans une forme brève, le tweet de Florian Philippot, bras droit de Marine Le Pen [vice-président du FN], émis le 16 mars : « Amis patriotes, dans quelques semaines nous ferons tomber les bastilles du Système, celui qui jette ses dernières forces contre la France ! ».
« Amis patriotes » : confiscation du mot « patriote » au profit d’une supposée « amicale » excluant ses ennemis ; connotation révolutionnaire, qui va se déployer dans la suite par l’utilisation métaphorique du nom « Bastille » réduit au nom commun.
« Faire tomber les bastilles du Système » : l’amicale patriote, héritière de 1789, va prendre les bastilles. De quel « Système » s’agit-il ? De celui dans lequel nous vivons. Le système capitaliste ? Nullement, car ce « Système » majuscule, la victoire électorale du Front national est supposée l’annihiler du jour au lendemain. Quel « Système » alors ? Il ne peut s’agir en fait que du système politique, la forme démocratique républicaine du régime actuel. […]