Dans une tribune au « Monde », la journaliste Audrey Pulvar, suspendue de la chaîne CNews pour avoir signé une pétition contre le Front national, réagit à l’absence de mobilisation face à la présence de Marine Le Pen au second tour.
[En 2012] La France, légataire universelle des Lumières, venait de placer au second tour de la présidentielle un leader d’extrême droite ! On affrontait l’inimaginable. Ensemble. Dans les kiosques, des kilomètres d’indignation. Libération, la « une » barrée d’un gigantesque « NON », parlait de la « France affreuse ». Au Monde, la « France blessée ». […]Aujourd’hui, rompre le consensus, c’est dire, à l’inverse, que non, le Front national n’est pas un parti comme un autre.
2017 ? Comme un cauchemar recommencé qui pourrait cette fois devenir réalité. Au lendemain du premier tour, 40 % d’électeurs, voire plus, se disent prêts à porter l’extrême droite au pouvoir. Face à eux, l’abyssal silence de rues vides, la tentation d’une rageuse abstention. Mais, surtout, une léthargie nationale devant ce qui n’étonne ni ne heurte plus. Pourtant, le Front d’aujourd’hui, pour lissé qu’il fût ces quinze dernières années, n’a rien amendé de ses intrinsèques périls. […]
Hier, le courage de journalistes comme Paul Nahon, Bernard Benyamin ou Anne Sinclair devant le jeu dangereux d’une profession fascinée par les outrances d’un parti alors tout à fait contournable, résistible. Aujourd’hui ? L’acceptation, principe de neutralité oblige, d’un phénomène, le succès de l’extrême droite, que nous, journalistes, avons contribué à créer depuis trente ans. Au nom de ce principe et afin de protéger du soupçon mes consœurs et confrères, dont je loue le professionnalisme, inattaquable, il était prévisible que je sois écartée de l’antenne jusqu’à nouvel ordre. […]