L’administrateur général de la Comédie-Française évoque l’engagement de son père, homme de haute culture. Une réflexion courageuse et digne qu’il nous livre sous l’incipit : «Mon père était un homme intelligent…».
Mon père était un homme intelligent et lettré. Il vantait à sa descendance la lecture nécessaire des classiques, l’éduquait à la musique, il était de ces gens qu’on qualifie d’élite.
Mon père était électeur du Front national, à une époque où il était dur de le dire. Sur la table du salon, côtoyant les grands auteurs qui sont le socle de notre conscience au monde, se trouvait National Hebdo, le journal du Front national au discours haineux et à la prose déficiente. Je ne comprenais pas ce paradoxe mais il m’est vite apparu alors que les thèses de Jean-Marie Le Pen, loin de faire appel à l’intelligence ou aux qualités d’analyse de mon père, ne faisaient que répondre à ses peurs et à sa solitude profonde en leur donnant un moyen d’expression et une justification aisés.
(…)
Mon métier, le théâtre, m’a sauvé. Je l’ai choisi et il est devenu ma vie parce qu’il m’oblige tous les jours à rebattre mes cartes, à rencontrer sans cesse de nouvelles personnes et de nouvelles méthodes, parce que ni l’âge, ni le sexe, ni le niveau de diplôme, ni la culture, ni la couleur de peau n’y ont autorité, parce qu’il ne travaille que sur l’universalité du monde et qu’il le brasse dans son infini mystère. Le théâtre me sauve parce qu’il m’oblige à sortir de ma tanière et travaille le meilleur de moi-même en ne laissant pas grandir le pire. Ce combat en moi n’est et ne sera jamais gagné mais je sais, pour l’avoir vécu, ce que donneraient des générations nourries au lait empoisonné du Front national.
(…)
Ce n’est pas Marine Le Pen qui est dangereuse, c’est nous qui le sommes à nous-mêmes. Si des millions d’électeurs lui apportent leur suffrage, ce n’est pas parce que son autorité est grande, elle n’est finalement que le simple réceptacle de nos peurs et de nos colères individuelles. Si ce n’était elle, nous en inventerions un autre.
Alors, pour interdire qu’on élève en nous ce que nous devons refuser de voir poindre, je voterai Emmanuel Macron sans aucune hésitation.
Merci à Mandarine