Depuis 2014, dans une douzaine de villes françaises, des habitantes tentent de se “réapproprier l’espace public” et améliorer leur environnement en arpentant les rues.
Les marches exploratoires visent à faire des femmes des quartiers prioritaires de véritables actrices de la citoyenneté locale et à se réapproprier l’espace public.
Au début, Corinne hésitait. Ne sachant ni lire ni écrire, elle avait peur d’être « inutile ». D’autant qu’à l’époque, elle se sentait «regardée », «mal à l’aise» dans son quartier d’Amiens (Somme) où elle élève seule ses six enfants. Alors pour échapper « aux mauvais regards », elle s’était décidée à sortir le moins possible. C’est «grâce aux marcheuses », dit-elle, que la rue a retrouvé de sa convivialité. Et Corinne, sa confiance en elle. «Ça m’a appris à parler avec les élus, à dire ce qu’il ne va pas. Avec les marcheuses, maintenant on se voit même en dehors», se réjouit-elle, un petit four entre les doigts. […]
L’idée de ces marches ? Sillonner les avenues, emprunter des ruelles, traverser des parcs et des places, «pas pour cueillir des fleurs, précise Djamila Debab, coordinatrice des marches au sein de l’association Interm’Aide, à Creil (Oise). Mais pour réinvestir les espaces publics occupés par les hommes. »
«On a choisi des femmes qu’on n’entend pas, qu’on ne voit pas. Des femmes qui se sentent souvent mal à l’aise quand elles marchent, qui se sentent regardées, qu’elles portent un foulard ou pas, et quel que soit leur âge. » […]
Ce jour-là, elles sont une quinzaine réunies dans les locaux de l’association Interm’Aide. Venues apprêtées, le foulard bien ajusté pour celles qui en portent un, les cheveux bien mis pour les autres, elles doivent déterminer l’itinéraire de la prochaine marche. Face à elles, des plans du quartier la Cavée de Senlis, classé en zone prioritaire. Agglutinées autour de tables, les lunettes sur le nez, elles repèrent avec des pastilles rouges les lieux stratégiques : la CAF, la préfecture, la mairie, l’école. Pour aider Lala qui ne sait pas lire, les autres ont l’idée de dessiner des croix pour le cimetière, un croissant pour la mosquée. […]