Article de Denis Lacorne, directeur de recherche émérite au CERI-Sciences Po, intitulé : “Faut-il au nom du ‘vivre-ensemble’ interdire les signes religieux dans l’espace public ?”
La plupart des sociétés occidentales contrôlent la présence du religieux dans l’espace public. […] En France, on évoque souvent le danger du prosélytisme religieux pour justifier l’interdiction du voile islamique à l’école, de la burqa dans l’espace public ou du burkini sur les plages publiques. Mais tout prosélytisme doit-il être interdit ? Cela n’est pas certain.
Toutes les religions sont, par définition, prosélytes (à part le judaïsme) et la présence, encore rare, de quelques burqas dans la rue, ou d’un burkini sur une plage ne signalent pas nécessairement une intention maléfique, mais un acte, aussi bizarre soit-il, de modestie individuelle, qui n’est pas télécommandé par un imam soucieux de semer des signes visibles du succès de sa prédication. […]
Le cas de l’interdiction de la burqa ou du niqab est particulièrement intéressant. Il suffit de lire les décrets d’application de la loi de 2010 pour saisir l’embarras des autorités publiques. Ces décrets donnent la liste des exceptions à une loi qui se veut neutre, universelle, mais qui ne cible, en réalité, qu’une seule religion, l’islam.
Peuvent ainsi, en toute légalité, cacher leur visage les motocyclistes, les skieurs, les joueurs de hockey, les ouvriers du bâtiment, le personnel médical, les policiers-enquêteurs (portant un masque), les pénitents catholiques du sud de la France revêtus de cagoules dans leurs processions traditionnelles, les porteurs de masque à une époque de carnaval, etc. ;
liste à laquelle on pourrait ajouter ces touristes asiatiques qui se recouvrent le visage d’ un masque hygiénique au moindre rhume, et ces ministres ou ces personnalités du spectacle qui se déplacent dans des voitures à vitres fumées – de véritables burqa à quatre roues. […]