CHRONIQUE – Dans La France atlantiste, ou le naufrage de la diplomatie, Hadrien Desuin lance un réquisitoire argumenté contre la politique étrangère de nos deux derniers présidents.
Une poignée de mains virile avec Donald Trump. Une balade au château de Versailles avec Vladimir Poutine. Des caresses berlinoises avec Angela Merkel. Depuis qu’il a été élu, Emmanuel Macron s’est très vite imposé comme une nouvelle vedette des relations internationales. Mais en dépit des tombereaux d’éloges que déversent les médias français et internationaux, soudain transformés en historiographes du roi, il n’est pas le premier président français à «réussir» si bien ses «premiers pas» internationaux. Ce fut même le cas pour chacun d’entre eux qu’ils s’appellent Hollande, Sarkozy, Chirac, Mitterrand, Giscard, Pompidou. Il faut croire qu’un nouveau président de la République française ne peut pas les manquer, ces fameux premiers pas. La Ve République est faite pour lui donner une immédiate aura internationale que ses pairs européens doivent conquérir.
Le philosophe allemand Peter Sloterdijk a judicieusement comparé l’élection du président au suffrage universel et l’arme atomique – deux attributs de puissance dont le général de Gaulle a doté ses successeurs – au sacre impérial de Napoléon et à sa Grande Armée. Les institutions monarchiques et bonapartistes de la Ve République permettent au président de la République française de jouer dans une cour des grands, celle où évoluent l’Américain ou le Russe ou le Chinois, dont la démographie et l’économie de notre pays lui interdisent l’accès. Mais une fois entré par effraction dans la cour interdite, quel jeu joue-t-on? C’est toute la question qui se pose à Macron, comme elle le fut à ses prédécesseurs.
Pendant longtemps, il n’y eut pas de question. Chaque nouvel hôte de l’Élysée mettait ses pas dans ceux du fondateur de la Ve République. C’est ce qu’Hubert Védrine a appelé la doctrine gaullo-mitterrandienne, un savant dosage d’indépendance nationale, de realpolitik et d’utilisation de la construction européenne comme «un levier d’Archimède» de la puissance française. Védrine savait mieux que personne que chaque président avait son propre dosage, ses propres nuances. Mais, à force de dosage et de nuances, on a renversé toute la préparation ; est venu le temps des barbares iconoclastes, et à l’héritage des grands anciens, a succédé une nouvelle doctrine qu’on appellera sans doute bientôt le sarko-hollandisme.
Hadrien Desuin n’est pas le premier ni le seul à diagnostiquer la communauté d’inspiration et d’action qui lie nos deux derniers présidents. Mais il le fait avec clarté et précision, même si son ouvrage ressemble souvent à un assemblage hétéroclite de chroniques d’actualité. Desuin n’y va par quatre chemins: le sarko-hollandisme est d’abord et avant tout un atlantisme. Et même un ultra-atlantisme. Une version française du néoconservatisme bushiste, où un humanitarisme droit de l’hommiste fonde des interventions militaires qui ne défendent pas un pays, des frontières, une indépendance, mais plutôt des valeurs, une philosophie des droits de l’homme, des principes démocratiques.
Droite et gauche se retrouvent comme Sarkozy et Hollande, et comme Juppé et Fabius, les deux emblématiques ministres des Affaires étrangères de la décennie passée. C’est la même soumission à l’émotion médiatique qui a remplacé l’ancienne froide realpolitik. C’est le même rêve de se substituer à l’Angleterre comme le meilleur allié de Washington qui a remplacé l’ancien unilatéralisme sourcilleux au nom de l’«indépendance nationale».
Droite et gauche se retrouvent comme Sarkozy et Hollande, et comme Juppé et Fabius, les deux emblématiques ministres des Affaires étrangères de la décennie passée. C’est la même soumission à l’émotion médiatique qui a remplacé l’ancienne froide realpolitik. C’est le même rêve de se substituer à l’Angleterre comme le meilleur allié de Washington qui a remplacé l’ancien unilatéralisme sourcilleux au nom de l’«indépendance nationale».
Desuin tire un bilan catastrophique de ce décennat humanitariste et atlantiste. Car la France n’est ni l’Amérique ni l’Angleterre. Ni même l’Allemagne. Elle n’a ni la force de frappe militaire de la première, ni la puissance industrielle de la troisième ; ni les liens privilégiés que la seconde conserve avec sa fille aînée. Le sarko-hollandisme dissimule derrière une agitation médiatique une vassalisation généralisée: vassalisation à l’Amérique par le retour dans les structures militaires de l’Otan ; vassalisation à l’Allemagne à travers l’engagement européen ; et même vassalisation à l’Arabie saoudite dont les contrats d’armement nous font oublier qu’elle alimente ce salafisme que nous combattons en Afrique et sur notre sol.
Le principal apport de l’ouvrage de Desuin est dans sa description minutieuse et éclairée des réseaux qui ont alimenté ce grand retournement. Derrière les figures médiatiques et emblématiques d’un Kouchner et d’un BHL, Desuin nous décrit les cercles de réflexion et d’influence, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) à Terra Nova, où libéraux et sociaux-démocrates communient dans le même atlantisme, européisme, humanitarisme, qu’ils inoculent à un quai d’Orsay complice.
Alors, pour savoir ce que fera le nouveau président Macron, il suffit de voir que les mêmes cercles et fondations, les mêmes experts, les mêmes intellectuels médiatiques l’ont soutenu. Quand Desuin se lamente pertinemment: «Les fils spirituels de Jean Monnet et de René Pleven président aux destinées de la France», nous ne pouvons que constater que cette alliance au centre des européistes et des atlantistes est justement la base du bloc idéologico-politique qui a porté à l’Élysée son nouvel hôte, avec aux premières loges les amis de Bayrou, Juppé et Fabius.
Il est par ailleurs instructif de noter, à l’aune de ce que nous apprend le livre de Desuin, que le seul à avoir résisté à la vague atlantiste et humanitariste, le seul à avoir imposé, en Afrique en tout cas, une approche réaliste des affaires internationales, le seul à avoir sauvé ce qui pouvait l’être de la machine de guerre française, déjà bien délabrée, c’est-à-dire Jean-Yves Le Drian, a été exfiltré du ministère de la Défense où il régnait en maître, pour prendre un ministère de «l’Europe et des Affaires étrangères» qui sonne comme une maison de retraite dorée. Dans ce Quai d’Orsay, rebaptisé aux couleurs bleues du drapeau européen, Le Drian sera privé du soutien de son directeur de cabinet, Cédric Lewandowski, le seul de l’équipe Hollande dont Desuin nous trace un éloge vibrant. Mieux qu’un signe, un symptôme. Mieux qu’un symptôme, un symbole que le sarko-hollandisme, sous la férule d’Emmanuel Macron, a de beaux jours devant lui.
Merci à valdorf