Dans une tribune au « Monde », la metteure en scène et enseignante Myriam Marzouki dénonce dans l’affaire du harcèlement des femmes dans le quartier de La Chapelle à Paris le déplacement d’interprétation de problèmes réels, ceux de la misère, de la promiscuité et de l’exil, sur le terrain de l’identité, dans un quartier où affluent toutes les misères du monde et de l’époque.
L’affaire de La Chapelle emboîte le pas à celle dite du café de Sevran, elle-même inscrite dans le sillage de l’affaire de Cologne (Allemagne).
Ce n’est pas un hasard si dans ces trois affaires nous retrouvons les mêmes protagonistes : le corps des femmes face à la présence des hommes non-blancs, et plus particulièrement des hommes musulmans ou supposés tels.
L’acte de naissance de l’affaire en question se situe dans le quotidien Le Parisien qui se faisait fin mai l’écho d’une pétition de riveraines du quartier dénonçant la disparition des femmes de l’espace public de La Chapelle. Le long entretien récent d’Elisabeth Badinter au Point est venu parachever le déplacement d’interprétation de problèmes réels sur un terrain identitaire. «Allez mettre une jupe dans certains quartiers… », s’inquiète la philosophe en Une de la revue.
Il est étonnant de constater que la jupe devient le symbole d’une féminité libérée de toute coercition sexiste et patriarcale après tant de combats féministes en faveur du port du pantalon… Mais le plus intéressant, c’est que la même jupe revendiquée ici est contestée là-bas. Là-bas : c’est-à-dire dans la poignée de collèges et lycées où quelques jeunes filles portant le foulard à l’extérieur, se sont vues interdire dans l’établissement le port d’une jupe longue et sombre, jugée trop « ostentatoire ». […]
L’ostentation ici n’étant pas celle d’une hypersexualisation qui jetterait de l’émoi dans la communauté scolaire mais au contraire une jupe manifestant trop visiblement une piété jugée non laïque. Il y aurait donc de bonnes jupes et de mauvaises jupes… Voilà à quoi seraient réduits la conceptualisation philosophique et l’engagement féministe aujourd’hui : de l’orthopraxie vestimentaire et surtout l’abandon de toute lecture socio-économique réellement émancipatrice et efficace. […]